Grands Colloques - La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ? - 137

NATHALIE DROIN

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très large de la vie privée11, qui aurait pour conséquence d'exclure un très
grand nombre de propos de la possibilité de rapporter la preuve de la vérité
des faits, dès lors qu'elle est interdite en la matière. La jurisprudence est sur
ce point peu éclairante. Elle est même à l'origine d'une seconde difficulté.
Son examen fait en effet ressortir l'existence d'une double condition.
Afin de réduire le bénéfice de la protection spéciale de l'article 31, le juge
exige, outre la condition susvisée, l'imputation d'un acte de la fonction ou
accompli en cette qualité. Ainsi, pour que l'article 31 s'applique, il faut que
les propos « contiennent la critique d'actes de la fonction ou d'abus de la
fonction » ou qu'ils laissent apparaître que « la qualité ou la fonction de
la personne visée a été soit le moyen d'accomplir le fait imputé, soit son
support nécessaire »12. S'agissant du président de la République, sujet de
notre étude, il ne suffit donc pas qu'il soit visé en cette qualité, il faut que
l'imputation concerne des actes ressortissants par leur nature de l'exercice
de ses fonctions, soit qu'elle constitue une critique de la fonction allant
jusqu'à la dénonciation des abus, soit que la fonction ait pu servir de moyen
pour accomplir le fait reproché ou en a été son support nécessaire.
À titre d'illustration, affirmer que le chef de l'État encourage la délinquance pour justifier sa politique sécuritaire sera, à coup sûr, considéré
comme une critique de la fonction, comme cela a pu être retenu à l'égard
d'un maire13. De même, l'accuser de s'être servi de son pouvoir de nomination pour placer à l'abri du besoin certains de ses « copains » tomberait
sans nul doute sous le coup de l'article 31, la fonction constituant ici le
moyen d'accomplir le fait reproché.
À l'inverse, les imputations relèveront de l'article 32 si elles n'ont aucun
lien avec les fonctions, soit parce qu'elles visent des activités privées, des
faits publics extérieurs à la fonction, soit parce que l'acte a été commis à
l'occasion des fonctions mais sans lien normal avec celles-ci. Cette appréciation peut soulever quelques difficultés, notamment car l'outrage constitué
par l'imputation d'un fait relevant de la vie privée proférée à l'égard d'une
personne dans l'exercice de ses fonctions peut tout à fait rejaillir sur celle-ci.
D'ailleurs, la jurisprudence est sur ce point assez imprévisible14. Son examen
nous conduit à penser que seuls les faits de vie privée, expressément exclus
de l'application du régime spécial, et entendus dans un sens large, vont
conduire à l'application de l'article 32. Une fois encore, s'agissant du chef
de l'État, tout n'est pas si simple. La frontière entre les faits de vie privée et
11. En ce sens également, Dreyer E. « Diffamations et injures publiques - Diffamations
et injures spéciales », J. Cl. Lois pénales spéciales, Presse et communication, Fasc. 100. § 47.
12. Cass. crim., 15 décembre 2015, n° 14-85. 118.
13. CA Paris, 11e ch. sect. B, 6 avril 2006, Juris-Data, n° 2006-3161123.
14. Voir notamment, CA Paris, 11 e ch., sect. B, 16 novembre 2006, Juris-Data,
n° 2006-322672.
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