Grands Colloques - La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ? - 164

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L'INTERDICTION DE L'ABUS DE DROIT DE L'ARTICLE 17

sujet. La Cour estime alors que « dans ces conditions, on ne peut dire qu'en
publiant Services Spéciaux Algérie 1955-1957, les requérants ont utilisé leur
droit à la liberté d'expression à des fins contraires à la lettre et à l'esprit de
la Convention, et détourné l'article 10 de sa vocation. L'article 17 ne saurait
donc entrer en jeu » (§ 36). Dès lors que l'ouvrage incriminé participe d'un
débat d'intérêt général, les autorités nationales ne disposaient que d'une
marge d'appréciation restreinte pour limiter la liberté d'expression des
requérants. « Seules des raisons particulièrement sérieuses » auraient pu
justifier la condamnation prononcée. La Cour ne les perçoit pas et conclut
à la violation de l'article 10.
D'une toute autre facture est la seconde hypothèse.

2. La conventionnalité du délit de presse
Dans ce cas, le juge européen refuse de faire entrer les faits incriminés
dans le champ de l'article 17 mais, après un contrôle au fond de la nécessité de l'ingérence, confirme la décision du juge interne et conclut à la non
violation de l'article 10 de la Convention.
a) L'arrêt Soulas et a. c/France du 10 juillet 200822 est relatif au délit
de provocation à la haine et à la violence envers un groupe de personnes
déterminées (article 24 al. 6 de la loi de 1881), pour lequel les requérants
(l'auteur et le gérant de la maison d'édition) ont été condamnés à une peine
d'amende du fait d'un ouvrage (La colonisation de l'Europe) consacré à
l'immigration et à l'Islam. La Cour rappelle qu'« il importe au plus haut
point de lutter contre la discrimination raciale sous toutes ses formes et
manifestations » (§ 42) et note que « plusieurs passages du livre présentent
une image négative des communautés visées » (§ 41). Elle relève que « les
motifs de la cour d'appel sont suffisants et pertinents » (§ 44), notamment
en ce qu'il est souligné « que les propos tenus dans le livre avaient pour
objet de provoquer chez le lecteur un sentiment de rejet et d'antagonisme,
accru par l'emprunt au langage militaire, à l'égard des communautés visées,
désignées comme l'ennemi principal, et de l'amener à partager la solution préconisée par l'auteur, celle d'une guerre de reconquête ethnique »
(§ 43). Mais, in fine, « la Cour considère que les passages incriminés du
livre en cause ne sont pas suffisamment graves pour justifier l'application
de l'article 17 de la Convention en l'espèce » et se limite à juger que la
condamnation prononcée par le juge interne n'enfreint pas l'article 10.
Ce faisant, le juge européen paraît édicter un seuil de gravité très élevé
pour l'applicabilité de la clause de déchéance.
22. CEDH, 10 juillet 2008, Soulas et a. c/ France, JCP G. 2009. I. 104, chron. Sudre F.

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