Grands Colloques - La réécriture de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 : une nécessité ? - 169

FRÉDÉRIC SUDRE

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de déchéance pour le premier délit (supra), elle retient une application
indirecte pour le second délit. Compte tenu « de la tonalité globalement
négationniste de l'ouvrage » et du fait que les propos de l'auteur « ont en
réalité un objectif raciste avéré », la Cour éprouve « de sérieux doutes » sur
le point de savoir si « l'expression de telles opinions pouvait être protégée
par l'article 10 de la Convention » mais juge inutile de se prononcer. Elle se
borne alors à constater que « les motifs invoqués par les juridictions nationales pour le condamner pour diffamation raciale et provocation à la haine
raciale étaient pertinents et suffisants, et les ingérences « nécessaires dans
une société démocratique » au sens de l'article 10 § 2 de la Convention »,
et à rejeter le grief comme manifestement mal fondé.
b) L'enjeu de cet usage indirect de la clause d'interdiction de l'abus de droit
n'est pas négligeable. En effet, dans ce cas de figure, la Cour abdique tout
contrôle au fond sur la « nécessité » de l'ingérence. Le soutien argumentaire
de l'usage abusif du droit réduit à néant un éventuel contrôle de proportionnalité sur l'atteinte au droit à la liberté d'expression et se traduit par
l'amplitude maximale du pouvoir de limitation aux droits conférés à l'État.
En bref, qu'il s'agisse de la version soft - application indirecte de l'article 17 − ou de la version hard - application directe de l'article 17 − la
sanction de la déchéance du droit, de facto ou de jure, conduit à juger
manifestement mal fondé le moyen tiré de la violation du droit à la liberté
d'expression et à écarter comme irrecevable la requête.
On doit alors constater que, dans la jurisprudence européenne, le spectre
de la déchéance du droit comme sanction de l'usage abusif de la liberté de
la presse coïncide, peu ou prou, avec les délits de presse prévus par la loi
de 1881.
Non seulement, la sanction de la déchéance a joué, comme on pouvait
s'y attendre, pour la contestation des crimes contre l'humanité de la « loi
Gayssot » (article 24 bis de la loi de 1881) mais aussi pour les délits contre
les personnes - diffamation ou injure envers une personne ou un groupe de
personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non
appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée
(article 32 al. 3 et article 33 al. 3 de la loi de 1881). De plus, elle semble
susceptible de pouvoir être appliquée aux délits couverts par l'article 24 de
la loi de 1881 - apologie des crimes ou délits de collaboration, apologie des
crimes de guerre, provocation à la haine ou à la violence envers une personne
ou un groupe de personnes à raison notamment de leur race ou leur religion
− comme au délit d'apologie du terrorisme (art. 421-5 Code pénal33).
33. Issu de la loi n° 2014-1353, du 13 novembre 2014 (art. 5).

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