Droit et Société - L'État du droit administratif - 2e - 268

L'ETAT DU DROIT ADMINISTRATIF

pose, il y a toute une stratégie de la prévention et de l'évitement, si ce n'est de
la révélation des conflits d'intérêts publics : cela même qu'avec le terme de régulation on s'emploie à saisir.
Pourquoi évoquer, pour finir, la réécriture de la Constitution qu'a réclamée
la relance de la décentralisation, sinon pour montrer, par d'autres moyens, ce
que la régulation des rapports État/collectivités territoriales doit aux mises en
scène juridiques ? Lorsque le texte révisé de la loi fondamentale avance que :
« Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour
l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur
échelon », il permet à la rhétorique de la subsidiarité de bénéficier d'un nouvel
ancrage juridique. Personne pourtant ne l'ignore, ainsi que l'écrit Y. Gaudemet 43 : « La subsidiarité n'est pas un principe répartiteur des compétences,
mais un principe régulateur de l'exercice de celles-ci ». C'est que pour être efficace la subsidiarité suppose que soit déjà réalisé ce qu'elle prétend accomplir
par le seul fait de le proclamer ! En clair, il en est de la subsidiarité comme de
la fameuse clause générale de compétences : elle fait croire à l'existence d'un
gisement quasiment « naturel » de compétences locales, tout en investissant
l'État du pouvoir juridique d'en exploiter les ressources. Bref comme le dit encore Y. Gaudemet : « La subsidiarité n'a pas de sens en droit, sans répartition
claire des compétences ; mais cette règle répartitrice des compétences ellemême n'existe pas » 44. En l'occurrence le sens de la subsidiarité ne peut venir
que d'une prochaine loi organique. Tout se passe donc comme si le partage de
la fonction administrative globale entre l'État et l'ensemble des collectivités
territoriales ne pouvait se concevoir qu'au terme d'une opération préalable de
sensibilisation juridique au cours de laquelle le Centre s'engage symboliquement à se retirer de territoires indûment investis.
Lorsque, dans un même mouvement, le législateur fait dire à la Constitution : « Aucune collectivité locale ne peut exercer une tutelle sur une autre. Cependant, lorsque l'exercice d'une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l'une d'entre elles ou un de
leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune », il ouvre
la scène juridique à cette même problématique de la régulation. C'est ici la notion de « collectivité-chef de file » qui trouve la consécration qui lui faisait défaut. Ainsi entendait-on mettre fin aux incertitudes liées à l'annulation,
le 26 janvier 1995, par le Conseil constitutionnel, des dispositions de la loi Pasqua d'orientation pour le développement et l'aménagement du territoire qui
autorisaient l'institution par voie conventionnelle de collectivités-chefs de
file 45. Car, sans le tour de passe-passe que réalise la juridicisation d'une forme
d'échanges inter-administratifs jusqu'alors dépourvus d'identité juridique,
43. V. Y. GAUDEMET, La subsidiarité en Europe, un principe ambigu et discutable, Futuribles,
n° 80/2002, p. 5-14.
44. Même référence, p. 13.
45. V. J.-M. PONTIER, Pour une reconnaissance de la notion de collectivité chef de file, Rev.
Adm., 2002, p. 402-407.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 56, 2e éd., 2017

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