Droit et Société - L'État du droit administratif - 2e - 331

POSTFACE

« les impératifs du politiquement raisonnable de l'époque » 80, qu'elles peuvent
être aussi aisément recodées dans les termes de la politique.
Un second exemple peut être tiré de ce thème inépuisable que constituent
les libertés prises par le juge (administratif) dans l'exercice de son pouvoir, nécessaire, d'interprétation des textes. Que ce pouvoir ne soit pas libre n'empêche
nullement l'organe qui en a la charge de prendre des libertés avec son exercice 81 ! Les juristes n'échappent pas ici aux controverses savantes dans lesquelles la doctrine se partage et se constitue. Chacun d'entre eux est donc appelé à prendre parti sur ce qu'il en est vraiment des pouvoirs du juge. Il le fait en
toute connaissance de cause, sans rien ignorer des divisions de la « communauté ». La brève présentation du sujet retenue ici n'échappe évidemment pas à
cette logique. Il est entendu en l'occurrence que toute interprétation juridique
passe par une lecture constructive des textes. Le producteur de ces derniers, le
législateur, élabore des énoncés qu'il charge d'un sens au moment de leur élaboration. Ce sens n'est pas pour autant la norme. Celle-ci n'advient qu'au
terme d'un processus d'interprétation qui entre dans l'office du juge. Or - c'est
le moins qu'on puisse en dire - le juge administratif a toujours montré en cette
affaire un zèle tout particulier. Plutôt que de prendre appui sur les éléments habituels du débat sans fin possible auquel se livrent les juristes en cette affaire,
sortons un moment de leur univers mental pour entendre à nouveau P. Bourdieu. Dans l'analyse qu'il propose, par les voies extérieures de la sociologie, de
l'interprétation juridique, il y a force arguments pour soutenir la thèse de la liberté de l'interprète : « L'interprétation opère l'historisation de la norme, en
adaptant les sources à des circonstances nouvelles, en y découvrant des possibilités inédites, en laissant de côté ce qui est dépassé ou périmé. Étant donné
l'extraordinaire élasticité des textes, qui va parfois jusqu'à l'indétermination ou
l'équivoque, l'opération herméneutique de declaratio dispose d'une immense
liberté. Il n'est sans doute pas rare que le droit, instrument docile, adaptable,
souple, polymorphe, soit en fait mis à contribution pour rationaliser ex post des
décisions auxquelles il n'a eu aucune part. Les juristes et les juges disposent
tous, quoique à des degrés très différents, du pouvoir d'exploiter la polysémie
ou l'amphibologie des formules juridiques en recourant soit à la restrictio, procédé nécessaire pour ne pas appliquer une loi qui, entendue littéralement, de쉟㬀Ĉᔏ 䁨䁨ᘀ 덨 㘀Ĉᔌ䁨䁨ᘀ 왨 ᔌⱨ큱ᘀ 
ᘆ
ᘆ 罨唴 ᔌ䁨䁨ᘀ  쉟 ᘆ
la lettre, ne devrait pas l'être, soit encore à toutes les techniques qui, comme
l'analogie, la distinction de la lettre et de l'esprit, etc., tendent à tirer le parti

80. V. P. SLOTERDIJK, Dans le même bateau, Payot et Rivages, coll. « Petite bibliothèque », Paris,
2003, p. 73.
81. Sur ce qu'est réellement l'office du juge, la doctrine des juristes ne cesse pas d'être divisée. V.
par exemple la confontation entre M. TROPER (La liberté de l'interprète), et E. PICARD (Critique de la théorie réaliste de l'interprétation juridique), lors du colloque du Sénat, « L'office
du juge », les 29 et 30 septembre 2006. V. Actes du colloque, publiés sous la dir. de
G. DARCY, V. LABROT et M. DOAT, « Les colloques du Sénat », Paris, 2006, p. 28-41 et p. 42147.

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DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 56, 2e éd., 2017
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