Droit et Société - L'État du droit administratif - 2e - 44

L'ETAT DU DROIT ADMINISTRATIF

presse spécialisée et les cabinets d'audit, repose sur une élite particulière qui se
distingue par sa culture " privative" bien plus souvent acquise dans les écoles
de commerce que sur le terrain de l'entreprise. En cela, la RGPP rompt effectivement avec le tissu social habituel de la réforme de l'État telle qu'elle était
menée depuis 2002, et même depuis bien plus longtemps » 55.
Ces considérations apparaîtront peut être bien éloignées de ce que le droit
administratif inscrit, de façon générale, dans ses répertoires habituels. Elles disent pourtant tout ce qui change dans la conception même de l'action publique
et des institutions administratives qui en ont la charge. Et ces changements-là,
le droit administratif les porte lui aussi, avec son propre système de représentation - c'est-à-dire principalement par ses modes d'interprétation et de qualification des faits et situations soumis à sa « juridiction » -, jusque dans son expression la plus « centrale » : la jurisprudence du Conseil d'État. L'exégèse de
cette dernière n'a certes pas ici sa place, mais on ne peut manquer de rappeler
la formidable promotion qu'y connait l'entreprise, en tant que fonction-type
intellectuellement opposable à la fonction d'administration 56. On sait que pour
accomplir ce déplacement juridique, il a fallu au Conseil d'État « découvrir les
voies d'une prise en compte du droit de la concurrence dans le droit des services publics, et plus généralement dans le droit administratif français » 57. En
définitive, en conférant des sens renouvelés à des mots inchangés 58 et en modifiant leurs rapports mutuels, le droit administratif - à condition de ne pas perdre
de vue les acteurs qui sont à la manœuvre derrière cette abstraction - change
quelque chose de l'État. Il y parvient par la reconfiguration générale des catégories juridiques constitutives du « public ».
B. - Réorganisation territoriale de l'État

Ce que fait encore entendre le droit administratif depuis les années 1980, ce
sont les « bruits », et ils n'ont guère connu de baisse d'intensité 59, que provoquent les réagencements territoriaux de l'État. La rumeur ne monte pas, c'est
vrai, du seul droit administratif. Elle a trouvé dans la Constitution et la juris55. Même référence, p. 879.
56. Ce mouvement est installé dans la durée. Il est assurément antérieur aux grandes manœuvres
institutionnelles qui accompagnent le new public management. On pense en particulier à la jurisprudence « Ville de Sochaux » (CE, 20 juillet 1971, « Ville de Sochaux », AJDA, 1971,
p. 227, note A. HOMONT) ou encore à la fameuse pratique juridictionnelle dite du bilan coûtsavantages (v. J. CAILLOSSE, Théorie et pratique de l'utilité publique, Droit et Ville, n° 5/1978
et n° 6/1979). Reste que ces modes de pensée, ceux du rendement industriel dirait P.
LEGENDRE, ont pris avec la banalisation de l'évaluation des performances publiques une sorte
de valeur paradigmatique.
57. Extrait des conclusions du commissaire du gouvernement J.-H. STAHL sur CE, Section, 3 novembre 1997, Société Million et Marais, Cahiers juridiques de l'électricité et du
gaz, décembre 1997, p. 447.
58. Sont plus spécialement visés ici les mots ou expressions : administration, service public, entreprise, intérêt public et/ou général, droit public et droit privé, etc.
59. Dans le temps d'écriture des présentes lignes, ils nous viennent de la scène montée pour un
éventuel « Acte 3 » de la décentralisation.

DROIT ET SOCIÉTÉ, VOL. 56, 2e éd., 2017

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