Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - L'École de Le Play et le droit - Tome 34 - 115

LES MANIFESTATIONS CONTEMPORAINES DE L'ESPRIT CLASSIQUE

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l'École de Le Play, qui fournit, à lire Pierre Legendre, la réflexion la plus aboutie
au sujet des fonctions économiques de l'État. Ses ouvrages constituent, selon lui,
« une véritable somme du libéralisme économique appliqué à l'Administration »141.
L'auteur relève que l'argumentation économique est la plus importante dans la
pensée libérale du xixe siècle appliquée à la bureaucratie142. C'est à la faveur de ce
constat qu'il devient possible de prendre la mesure de la singularité de l'approche
leplaysienne en la matière. Si son pragmatisme coutumier et ses inclinaisons libérales lui interdisent de négliger le versant économique du problème, sa filiation
conservatrice lui dicte de porter une attention particulière à l'argument moral143.
2. Le fonctionnarisme contre les autorités sociales
163. Une analyse correcte de ce second argument leplaysien implique d'abord
de le resituer dans le climat de l'époque, très hostile aux fonctionnaires, accusés de
lenteur et de paresse : toute une littérature bien connue a fait ses choux gras de
« l'homme de bureau »144. À cet égard, le développement de l'administration apparaît néfaste « au point de vue de la vitalité et de l'énergie nationales »145. Les leplaysiens appellent de leurs vœux, à l'inverse, une société fonctionnant à l'aide d'individus modèles dévoués à la gestion des affaires publiques. Ces autorités sociales,
comme les nomme Le Play, ont vocation, à tous les niveaux, à exercer une influence
salutaire dans leur entourage. Il peut s'agir tant du propriétaire foncier résidant
dans ses terres, que du contremaître zélé, du notaire ou du prêtre. Ce n'est pas tant
le niveau de fortune ou la position sociale qui importe, qu'un comportement exemplaire de la part de ces « individus qui sont les modèles de la vie privée, qui montrent
une grande tendance vers le bien, chez toutes les races, dans toutes les conditions et
sous tous les régimes sociaux ; qui, par l'exemple de leurs Foyers et de leurs Ateliers,
comme par la scrupuleuse pratique de la loi de Dieu et des coutumes de la Paix sociale,
conquièrent l'affection et le respect de ceux qui les entourent »146. Or, depuis la mise
en place d'un vaste appareil administratif par le Consulat et l'Empire147, dans le but
de rationaliser la gestion du territoire suite à l'abolition, le 4 août 1789, de la vénalité des offices, ce sont désormais des professionnels qui assurent dans le pays les
tâches administratives à tous les niveaux : du petit employé de bureau jusqu'au
ministre, ceux que l'on nomme désormais les fonctionnaires ont remplacé la dévotion initiale des notables, qui géraient gracieusement les affaires de l'État. Voici ce
qu'écrit de ce phénomène Edmond Demolins, transcrivant en cela les vues de
l'École en la matière : « Chez nous, l'État a peu à peu absorbé les plus importantes
attributions de la vie privée : il s'est substitué au père, en supprimant la liberté d'enseignement et la liberté de tester ; aux propriétaires fonciers, en leur enlevant le
141. Trésor historique..., op. cit., p. 91-92.
142. Ibid., p. 91.
143. Pierre Legendre n'ignore pas cette dimension, et qualifie Le Play de « moraliste du
libéralisme » (ibid., p. 93).
144. Ce phénomène littéraire semble dater de la monarchie de Juillet, voire de la Restauration.
On rappellera pour mémoire les deux volumes des Mœurs administratives (1826) du maître des requêtes
au Conseil d'État Jean-Gilbert YMBERT ou encore la Physiologie de l'employé (1841) d'Honoré de
BALZAC. Un certain nombre de ces manifestations littéraires de la crise de l'administration ont été
regroupées par THUILLIER (G.), Témoins de l'administration..., op. cit., 280 p.
145. LEROY-BEAULIEU (P.), L'État moderne..., op. cit., p. 25.
146. La paix sociale après le désastre selon la pratique des peuples prospères, Tours, Mame, Paris,
Dentu, 1876, 2e éd., p. 135.
147. Sur l'œuvre administrative de Napoléon et l'immense prestige, qui s'étiolera bien vite, dont
bénéficie à cette époque l'administration, cf. THUILLIER (G.) et TULARD (J.), Histoire...,
op. cit., p. 15-27, qui parlent d'un « âge d'or de l'administration » (p. 19).

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