Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - L'École de Le Play et le droit - Tome 34 - 141

LES MANIFESTATIONS CONTEMPORAINES DE L'ESPRIT CLASSIQUE

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206. L'enjeu d'une telle dénonciation326 ne se cantonne pas à une simple « querelle de la méthode » dans le cadre d'une réflexion théorique de philosophie des
sciences. Ce serait là méconnaître la spécificité de la pensée leplaysienne, qui se place
toujours d'un point de vue pratique. En réalité, l'École dénonce l'enseignement du
droit tel qu'il est pratiqué dans les années 1880 car elle veut, ce faisant, démontrer
qu'une telle pédagogie influe profondément sur la société. Dans les années 1880, obtenir une licence en droit est un fait tellement répandu que le diplôme s'apparente à un
simple « baccalauréat du degré supérieur »327. Dès lors, les jeunes gens destinés à exercer, pour la plupart, des professions libérales, sont contaminés par des prémisses
méthodologiques erronées. Leurs réflexes intellectuels s'en trouvent durablement
affectés et la société tout entière se trouve infestée par un mode de raisonnement fallacieux328. Il s'agit alors de dénoncer l'impuissance sociale des professeurs de droit329.
L'exégèse littérale, qui atrophie le raisonnement personnel par son absence de « philosophie » comme de « caractère scientifique »330, n'est guère propre qu'à façonner des
« rhétoriciens »331, enfermés dans le commentaire étroit des lois écrites332. Et Daniel
Touzaud de conclure, livrant l'estocade finale à la méthode exégétique, qu'en réalité,
« la méthode juridique adaptée à toutes les investigations de l'esprit n'est autre que le
jacobinisme, élevé à la hauteur d'une institution nationale »333. Pour autant, l'École de
la paix sociale observe, plus finement qu'il n'y paraît au premier abord, l'évolution de
la science juridique. Elle prend grand soin, en effet, de faire le départ entre l'enseignement du droit et les efforts louables de la doctrine.
B. LES TÂTONNEMENTS D'UNE DOCTRINE JURIDIQUE
EN QUÊTE DE RENOUVEAU
207. L'apparition - réelle ou supposée - de la « génération 1880 », comme
se plaisait à la nommer Bonnecase334, apparaît aux yeux des leplaysiens comme
326. Pour un exemple des conséquences néfastes de la méthode abstraite des juristes en droit de la
famille, cf. FAVIÈRE (A.), L'héritage libre, op. cit., p. 694, qui écrit ceci : « du principe, qu'au regard du
code, le mariage n'est qu'un contrat civil, la logique française ne pouvait manquer de déduire la conclusion
du divorce. Et la pratique devançant la loi qui l'excite au lieu de la retenir, l'écheveau des syllogismes
continue à se dévider sous nos yeux : divorce en justice, - par consentement mutuel, - par répudiation, -
union libre, tout cela passe et tournoie devant nous dans une farandole de comédiens, de législateurs et de
gens de loi, piétinant la pauvre famille française, comme une orgie dans une église » (nous soulignons).
327. TOUZAUD (D.), Les professions libérales et les abus..., op. cit., p. 532.
328. La logique hypothético-déductive, qui implique de partir d'une hypothèse pour en déduire
des conséquences, a pu être critiquée en ce qu'elle « n'est souvent qu'une façon de rationaliser a
posteriori une construction déjà faite » (GARDIN (J.-Cl.), Une archéologie théorique, Paris, Hachette,
1979,  p.  180). L'auteur, étendant son propos hors de l'archéologie, dénonce le « brouillamini des
sciences humaines » et le manque de méthode scientifique claire présidant aux différentes disciplines
des sciences de l'homme (p. 284). Il légitime sa démarche en la situant dans le sillon, notamment, des
travaux mathématiques de Georges-Edward Moore (1873-1958) et de Bertrand Russel (1870-1972),
fondateurs de la philosophie analytique, qui avaient tenté de « dépoussiérer » la science des
mathématiques, alors infestées, selon Russel, d'axiomes considérés comme évidents et pourtant
improuvés. S'il ne se réclame d'aucune école, Jean-Claude Gardin affirme se situer dans un mouvement
d'idées général, le logicisme, qui imprègne toute la philosophie des sciences et qui devrait selon lui
dicter leur conduite aux sciences humaines (p. 291).
329. GUÉRIN (U.), Le régime successoral..., op. cit., p. 664.
330. TOUZAUD (D.), Les professions libérales et les abus..., op. cit., p. 534.
331. DEMOLINS (E.), Questions du jour. Un discours de rentrée, op. cit., p. 482.
332. GUÉRIN (U.), Le régime successoral..., op. cit., p. 664.
333. TOUZAUD (D.), Les professions libérales et les abus..., op. cit., p. 535.
334. Cité par RÉMY (Ph.), Planiol : un civiliste à la Belle Époque, RTD Civ., n° 1, janvier-mars
2002, p. 34.
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