Bibliothèque d'histoire du droit et droit romain - L'École de Le Play et le droit - Tome 34 - 306

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L'ÉCOLE DE LE PLAY ET LE DROIT

contradictions d'espèce48. Toujours en matière de législation industrielle, Paul
Doin49 relate les contradictions prud'homales résultant de certaines dispositions
trop vagues de la loi du 5 avril 1910 sur les retraites ouvrières et paysannes, et
notamment de son article 23, couplé avec l'article 3-150. Le même auteur déplore,
quelques années plus tard, la situation ambiguë ménagée par la jurisprudence aux
syndicats agricoles. La question de la capacité commerciale de ces groupements
suscitait en effet des jurisprudences divergentes de la part des juges du fond. Aussi
l'important arrêt de la Cour de cassation du 29 mai 1908, qui tranche la question
en condamnant la pratique des actes de commerce par les syndicats agricoles,
place ces derniers dans une situation délicate : s'ils entendent répondre aux désirs
de leurs adhérents, ils agissent en dehors de la légalité et s'exposent à des procès.
Si, à l'inverse, ils s'en tiennent strictement aux textes, ils deviennent inutiles. Aussi
le statut pour le moins vague des syndicats agricoles risque-t-il de générer des
hésitations préjudiciables de la part de la jurisprudence51.
436. Cette hostilité aux divergences de jurisprudence manifeste l'attachement des leplaysiens à la sécurité juridique, but essentiel du droit52. L'École en
fournit une nouvelle preuve en réclamant, dans de nombreuses hypothèses, la
« légalisation » de la solution jurisprudentielle. Ainsi, en ce qui concerne la
recherche de paternité, Fernand Butel assure que les subtilités inventées par les
tribunaux pour reconnaître indirectement la paternité sont un pis-aller : mieux
vaudrait « mettre à l'aise la conscience des juges », en la reconnaissant directement. En effet, punir le séducteur sur le fondement de l'article 1382 du Code civil
48. Intervention suite à SALEILLES  (R.), Société d'économie sociale. Séance du 14  février
1898. Le risque professionnel dans le Code civil, op. cit., p. 649.
49. Paul Doin, dont on ignore les dates de vie, est docteur en droit (Du reboisement et du
gazonnement des terrains particuliers, Paris, 1899). Spécialiste des questions agricoles, il adhère à la
Société d'économie sociale en 1907, assumant la même année la charge d'administrateur. Il rejoint les
Unions de la paix sociale en 1910 et joue le rôle de correspondant local pour la Bourgogne (Yonne,
Côte d'or, Saône et Loire) de 1911 à 1914 (AUDREN (F.) et SAVOYE (A.), Index..., op. cit., p. 226).
50. L'article 23 de la loi de 1910 ne prévoit la responsabilité de l'employeur qui n'a pas payé sa
contribution que dans le cas où il est établi que, par sa faute, les versements n'ont pas été effectués.
L'article 3-1, de son côté, oblige l'employeur, lors de chaque paye, à opérer le précompte des retenues
sur le salaire de l'assujetti, et d'en joindre le montant aux allocations à sa charge. Les conseils de
prud'hommes avaient eu à se demander si le législateur avait entendu assimiler les retenues exercées
par les patrons sur les salaires à leur contribution personnelle et créer à leur endroit les mêmes
obligations à l'égard des deux sortes de versement. Les difficultés avaient surgi du fait des prétentions
patronales de se conformer strictement à l'article 3-1 et d'opérer, même en dehors de la présentation
de sa carte par l'employé, la retenue prescrite sur les salaires. Les employés avaient alors décidé
d'attaquer cette pratique, dont l'interprétation avait suscité de nombreuses décisions discordantes de
la part des conseils de prud'hommes. La Cour de cassation, dans trois arrêts de principe en date du
21 juin 1912, finit par décider qu'aucune responsabilité pénale n'est encourue par l'employeur lorsque
l'employé n'a pas présenté sa carte, car, dans un tel cas, l'exécution de l'obligation de l'employeur était
impossible (Les retraites ouvrières et la jurisprudence de la Cour de cassation, RS, 1913, tome 1, p. 150156). Sur l'application mouvementée de la loi du 5 avril 1910, cf. DUMONS (B.) et POLLET (G.),
L'État et les retraites. Genèse d'une politique, Paris, Belin, 1994, p. 391-399.
51. Mélanges et notices. À propos des syndicats agricoles, RS, 1913, tome 2, p. 502-505. Cf. sur
cette question GALLINATO-CONTINO (B.), La Réforme sociale et les syndicats agricoles (18811914), dans DAVID (M.) (dir.), Histoire, justice et travail, Lille, Centre d'histoire judiciaire,
2005, p. 155-170.
52. La sécurité juridique est un impératif essentiel du droit, qui tend à réguler les relations des
hommes en société. Le droit, par essence, s'oppose par conséquent « à l'arbitraire et l'anarchie qui résultent
de la loi du plus fort ». C'est dire le caractère essentiel de ce concept, à tel point qu'Henri Mazeaud a pu
écrire, au sortir de la première guerre mondiale, que « plus encore que de justice, nous avons besoin pour vivre
de sécurité » (cité par PIAZZON (Th.), La sécurité juridique, Paris, Defrénois, 2009, p. 11).
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