Bibliothèque de droit public - Tome 298 - Les théories jurisprudentielles en droit administratif - 295

LA PERSPECTIVE TÉLÉOLOGIQUE DES THÉORIES JURISPRUDENTIELLES

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777. Comme l'exprime le souhait de J. M. De Gérando au début du
XIXe siècle, les principes rendent compte de représentations immuables, de
« grandes traditions » autour desquelles s'est créée la cohérence du droit administratif et qui en constituent la raison d'être. Cette conception se retrouve chez les
auteurs du XXe siècle. J. Rivéro décrit par exemple le principe de continuité
comme une « maxime inscrite dans la nature des choses, le fondement nécessaire
de toute vie sociale dans le cadre de l'État moderne »48.
778. Bien qu'ils apparaissent comme une argumentation juridique, ces principes révèlent une aspiration politique attachée à une certaine conception du droit
administratif. Dans la lignée des premières philosophies politiques de Machiavel
et de Bodin, la défense de l'État apparaît au cœur de toute réflexion sur le droit
administratif. Elle marque sa singularité à l'égard du droit commun. Les principes
fondateurs de l'État sont alors au moins aussi importants que le respect de la
légalité qu'ils viennent nuancer. Ils traduisent des priorités différentes de celles du
droit privé qui régit les droits et les devoirs des citoyens. Ainsi l'affirme le commissaire du gouvernement M. R. E. David dans ses conclusions sur l'arrêt Blanco
pour justifier l'existence d'une responsabilité administrative à part entière : « [...]
le rôle de l'État, dans l'accomplissement des services publics, est non pas volontaire, mais obligatoire ; il lui est imposé non dans un intérêt privé, mais dans l'intérêt de tous »49. La volonté d'affirmer l'unité du droit administratif conduit le
juge administratif lui-même à accepter cette représentation.
779. Les théories jurisprudentielles relatives aux contrats administratifs sont
par exemple une manifestation de la singularité reconnue aux personnes publiques
cocontractantes. Contrairement aux contrats de droit privé qui font prévaloir le
principe de bonne foi des parties, ce n'est pas l'égalité entre les parties qui prime,
mais la continuité du service dont l'État demeure garant - même lorsqu'il est
concédé - vis-à-vis de l'ensemble des citoyens. Pour M. Hauriou, il existe en
matière contractuelle une véritable « préoccupation du service et de la continuité
du service » qui est à la source de l'opposition directe avec la jurisprudence civile50.
780. La justice administrative est un élément des fondations du système étatique français et les décisions qu'elle rend renforcent le caractère unitaire et centralisé de ce dernier. La théorie des mutations domaniales, une des plus anciennes, est
significative de la volonté de consolidation de l'État par le droit administratif. En
accordant au domaine public un régime exorbitant de droit commun, le juge administratif renforce son unité. Comme le souligne M. Guyomar dans ses conclusions
sur l'arrêt Commune de Proville, la théorie détient « un fondement qui s'enracine
dans les principes d'indivisibilité de la République et d'unité de la domanialité
publique, un fondement si puissant qu'il résiste à la reconnaissance de la libre administration des collectivités locales, aux progrès de la décentralisation et à la progressive reconnaissance du droit de propriété des collectivités publiques »51.
781. Le droit administratif a toutefois évolué vers une meilleure garantie des
droits des administrés. La mission contemporaine du juge administratif est ainsi
48. J. Rivéro, note sous CE, 18 avril 1947, n° 65900, Jarrigion, S., 1948, III. 33, citation p. 55.
49. TC, 8 février 1873, Blanco, D., 1873, chron. III, p. 20.
50. M. Hauriou, « Le développement de la jurisprudence administrative depuis 1870 », in Les
transformations du droit dans les principaux pays, 1869-1919, Livre du cinquantenaire de la société de
législation comparée, t.2, LGDJ, p. 16 et 17.
51. Concl. M. Guyomar sur CE, 23 juin 2004, Commune de Proville, op. cit., p. 106-107.

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