Bibliothèque de droit public - Tome 298 - Les théories jurisprudentielles en droit administratif - 388

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LES THÉORIES JURISPRUDENTIELLES EN DROIT ADMINISTRATIF

juges - dans l'acceptation et l'intégration par leurs fonctions respectives, des croyances
et mythes au fondement d'un ordre juridique autonome. Même s'ils ne le concrétisent
pas de la même façon, ceux qui invoquent le droit, ceux qui l'appliquent et ceux qui
sont dits le créer sont mus par ce même intérêt de non-fragmentation du système
juridique. Le praticien au même titre que l'auteur de dogmatique juridique est conduit
à jouer le jeu de la rationalité et avaliser les postulats implicites et l'idéologie sousjacente38. Le juge administratif en particulier est conduit dans sa fonction juridictionnelle à faire œuvre à la fois de politique et de dogmatique juridiques.
1077. L'ensemble des discours juridiques se fond ainsi dans la poursuite
du but de l'unité du droit administratif, créant une confusion entre les activités
de connaissance et de production normative. C'est ce dont rend compte le personnage singulier du rapporteur public dans le procès administratif dont les
conclusions contribuent à brouiller davantage encore la frontière des discours
scientifique et normatif. Sa fonction est à mi-chemin entre la fonction juridictionnelle et la fonction dogmatique. Son statut et les différentes réformes dont
il a fait l'objet laisseraient plutôt à penser qu'il est un juge comme un autre.
Pourtant il n'a pas de pouvoir décisionnel : ses conclusions n'ont pas l'autorité
de la chose jugée et peuvent ne pas être suivies. Son rôle d'interprétation, de
conseil, de guide, de systématiseur, le rapproche davantage des fonctions de la
dogmatique juridique. Face aux arrêts laconiques du Conseil d'État, il est à
l'origine de la formalisation d'un certain nombre de théories jurisprudentielles
- on pense aux conclusions J. Romieu pour l'acte détachable, à celles de
P. Chardenet pour la théorie de l'imprévision, à celles de G. Teissier pour la
théorie des mutations domaniales et plus récemment à celles de M. Guyomar
pour les mesures d'ordre intérieur39.
1078. De manière générale, les théories jurisprudentielles contribuent à l'intégration du discours scientifique au processus normatif. Elles accentuent la
confusion entre les différents niveaux de discours au profit du maintien de la
cohésion du droit administratif. Leur construction par institutionnalisation40 s'affranchit de la spécialisation et de la temporalité des discours juridiques. Tous
contribuent, par la fonction d'objectivation des théories, à cette apparence de
continuité et d'uniformité du système.
1079. Les auteurs de la dogmatique juridique reproduisent cette confusion en adoptant un discours prescriptif ; en énonçant les différentes conditions
d'identification et d'application d'une théorie par une interprétation le plus souvent constructive et parfois même audacieuse des arrêts du Conseil d'État.
E. Jouve, par exemple, conditionne l'application de la théorie du fonctionnaire de fait à la réalisation d'un élément visible et d'un élément psychologique,
alors que ces conditions ne sont pas explicitement reprises par le juge lorsqu'il
38. F. Ost et M. Van de Kerchove, « De la scène au balcon. D'où vient la science du droit ? »,
in F. Chazel et J. Commaille (dir.), Droit et Société. Normes juridiques et régulation sociale, LGDJ,
1991, p. 72.
39. CE, 30  mars 1916, Compagnie générale d'éclairage de Bordeaux, n°  59928, Rec., p.  125,
P. Chardenet, Rec., p. 125 ; CE, Ass., 16 juillet 1909, Ville de Paris, concl. G. Teissier, Rec., p. 707 ;
CE, Ass., 14  décembre 2007, Garde des Sceaux c/  Boussouar, Planchenault et Payet, Rec., p.  476,
concl. M. Guyomar et C. Landais, RFDA, 2008 p. 87 et 104 ; M. Guyomar « La justiciabilité des
mesures pénitentiaires devant le juge administratif », AJDA, 2009, pp. 413-415.
40. Cf. supra, n° 105 et s. et n° 257 et s.
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