Les Intégrales - Volume 20 - Droit de la communication audiovisuelle - 1re - 92

DROIT DE LA COMMUNICATION AUDIOVISUELLE

restriction doit être replacée dans son contexte et examinée à la lumière des circonstances
de la cause. La Cour a également précisé que l'adjectif « nécessaire » implique l'existence
d'un « besoin social impérieux »11, et que s'il n'est pas synonyme d'« indispensable », il
n'est pas non plus l'équivalent des termes « admissible », « normal », « utile », « raisonnable » ou « opportun »12. Enfin, elle confirme qu'une marge d'appréciation est laissée au
législateur et aux tribunaux nationaux dans l'appréciation de cette proportionnalité13.
116 Application : les monopoles de radiodiffusion. La Cour européenne des droits de
l'homme s'est prononcée à plusieurs reprises sur la compatibilité des monopoles publics
de radiodiffusion avec les dispositions de l'article 10 Convention EDH. Elle a ainsi
censuré, dans son arrêt Informationsverein Lentia et autres de 199314, un monopole de
radiodiffusion confié en l'espèce, et à l'époque, à l'Office autrichien de radiodiffusion. À
cette occasion, elle a clairement indiqué qu'au regard des évolutions technologiques un
tel monopole ne pouvait recevoir aucune justification, ni être considéré comme nécessaire, dans une société démocratique, au sens de l'article 1015.

La Cour a cependant pu valider la réservation de la radiodiffusion hertzienne terrestre à
un radiodiffuseur public, lorsqu'elle est justifiée par la rareté des fréquences liée à une
situation géographique particulière16.
117 L'intervention d'une autorité de régulation indépendante. La CEDH ne s'est pas
prononcée sur le point de savoir si l'article 10 exigeait la mise en place d'une autorité
de régulation indépendante. Cependant, l'exigence semble de nature constitutionnelle17.
Le Conseil constitutionnel ainsi jugé que « la désignation d'une autorité administrative
indépendante du Gouvernement pour exercer une attribution aussi importante au regard
de la liberté de communication que celle d'autoriser l'exploitation du service radiotélévision mis à la disposition du public sur un réseau câblé constitue une garantie fondamentale pour l'exercice d'une liberté publique »18, et relève de la compétence exclusive du
législateur. Jugé également que l'exercice du pouvoir de modifier la loi du 30 septembre
1986 (en l'espèce par la substitution de la CNCL à la Haute Autorité de la communication) « ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère
(11) Arrêt Handyside, 7 déc. 1976, § 48.
(12) Ibid. ; également Sunday Times 26 avr. 1979.
(13) Néanmoins, leur pouvoir d'appréciation n'est pas illimité : « (...) la Cour a compétence pour statuer par un arrêt définitif sur le point de savoir si une " restriction " (...) se concilie avec la liberté d'expression telle que la protège
l'article 10 (art. 10) » ; « la marge nationale d'appréciation va donc de pair avec un contrôle européen » qui « porte
tant sur la loi de base que sur la décision l'appliquant, même quand elle émane d'une juridiction indépendante »
(Handyside, § 49). La Cour en déduit qu'elle « n'a point pour tâche de se substituer aux juridictions internes compétentes », mais de contrôler « sous l'angle de l'article 10 (art. 10) les décisions qu'elles ont rendues dans l'exercice
de leur pouvoir d'appréciation » (§ 50). De même, ce pouvoir d'appréciation varie pour chacun des buts énumérés à
l'art. 10 § 2.
(14) 24 nov. 1993, Informationsverein Lentia et a. c. Autriche - 13914/88, 15041/89, 15779/89 et al.
(15) Nº 39 à 43. Cet arrêt a été suivi de plusieurs affaires et décisions relatives à la réglementation autrichienne : CEDH,
9 juin 1997, Telesystem Tirol Kabeltelevision c. Autriche, recueil 1997-III (retransmission par câble ; la Commission avait établi un rapport de violation de l'article 10, l'affaire fut rayée du rôle suite à règlement amiable) ; CEDH,
20 oct. 1997, Radio ABC c. Autriche, recueil 1997-VI (la Cour relevant l'adoption en cours de procédure d'une loi
mettant fin au monopole de radiodiffusion).
(16) CEDH, 21 sept. 2000, Tele 1 Privatfernsehgesellschaft mbH c. Autriche : refus opposé à une société privée d'installer et d'exploiter un émetteur de télévision terrestre ; violation de l'article 10 pour la période couverte par le
monopole de radiodiffusion, mais ingérence jugée valide pour la période postérieure réservant la seule diffusion
hertzienne à l'organisme national de radiodiffusion : « La Cour constate que, pendant cette période, les sociétés de
diffusion privées étaient libres de créer et diffuser leurs programmes de télévision sur le câble sans aucune restriction, la radiodiffusion terrestre restant réservée à l'ORF. Le Gouvernement a fait valoir que la rareté des fréquences
due à la situation géographique de l'Autriche justifie de réserver ces fréquences à l'ORF, tout en permettant aux
sociétés de diffusion privées d'utiliser la télévision par câble. La Cour, constatant que presque tous les foyers viennois pouvaient être reliés au réseau câblé, estime que la diffusion par le câble constituait pour les sociétés de diffusion privées une solution de rechange viable à la diffusion terrestre. Elle conclut que l'impossibilité d'obtenir une
autorisation pour la diffusion terrestre ne pouvait donc plus passer pour disproportionnée aux buts poursuivis par la
loi constitutionnelle sur la radiodiffusion. Dès lors, elle conclut qu'il n'y a pas eu violation de l'article 10 pendant
cette période ».
(17) P. de Montalivet, « La Constitution et l'audiovisuel », Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, Dalloz, nº 36,
juin 2002, p. 5.
(18) Cons. const., 26 juill. 1984, nº 84-173 DC, § 4.

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