Droit et Économie - L'ordre public économique - 100

100 L'ORDRE PUBLIC ÉCONOMIQUE

l'équilibre de concurrence que les marchés s'ouvrent effectivement et que
les échanges (réels) ont lieu.
De même, concernant la première hypothèse que les prix doivent être des
données, la procédure concurrentielle doit assurer que les prix sont déterminés par la règle d'apurement des marchés et non par une autre procédure de fixation qui laisserait ouverte la possibilité de rationnement ou de
surproduction. On reconnaît ici le fait que tout agent qui peut agir sur le
prix s'extrait d'une procédure concurrentielle par sa capacité à imposer
son prix aux autres. Or, depuis Walras, si l'on reconnaît que l'ordre concurrentiel peut représenter un ordre, c'est justement parce qu'en son sein,
aucun agent ne dispose d'un pouvoir économique sur les autres membres
de la société. Certes, les prix peuvent être faibles ou élevés engendrant par
là des niveaux différents d'utilité pour chacun, mais leur niveau n'est jamais
dû au pouvoir de certains intervenants, toujours à des forces impersonnelles - offre et demande agrégées. On comprend que la doctrine juridique
insiste - à juste titre - sur le fait que la lutte contre les ententes ou la prévention de concentrations soient, de ce fait, partie intégrante de l'ordre
public économique. Ceci renvoie immédiatement à la crainte du pouvoir
économique concentré dans les mains de quelques-uns. On peut cependant
regretter que l'usage juridique qui en est fait reste bien timide dans la
mesure où le capitalisme contemporain semble fondé sur des agents aux
pouvoirs économiques puissants, bien loin de la vision décentralisée, symétrique et dénuée de pouvoir des auteurs néoclassiques, pourtant souvent
convoquée à l'appui de cette définition de l'ordre public économique.
Plus largement, la jurisprudence nous indique que le concept d'ordre
public économique est parfois fondé sur cette vision de l'ordre comme stabilité. L'Autorité de la concurrence, par exemple, qualifie la volatilité des
prix sur le marché du lait comme une atteinte à l'ordre public économique
énonçant de ce fait que l'instabilité globale d'un marché et des mouvements de prix erratiques sont les symptômes de la non-convergence des
prix10. Ainsi, si jamais les économistes devaient participer à la définition
juridique du concept d'ordre public économique, ils devraient sans aucun
doute insister sur le fait que le respect des règles de fonctionnement du
marché est d'ordre public en ce sens qu'elles doivent s'imposer aux agents,
étant la condition même d'émergence de l'ordre.
10. Pour d'autres traditions économiques, la concurrence ne peut, même si les hypothèses de la
concurrence parfaite sont respectées, générer un ordre. C'est évidemment la question
majeure que pose Keynes autour de la thèse qu'il n'y a aucune raison que le marché concurrentiel parvienne à coordonner les plans des acteurs dans une économie monétaire et temporelle. Le point sur lequel insiste Keynes porte sur les capacités de la concurrence à coordonner les plans des agents. Parce que le monde économique est traversé par l'incertitude,
une telle coordination a peu de chances de voir le jour.
Droit et Économie - L'ordre public économique

Table des matières de la publication Droit et Économie - L'ordre public économique
