Droit et Économie - L'ordre public économique - 234

234 L'ORDRE PUBLIC ÉCONOMIQUE

second. Et, seul pour l'ordre public réalisé, la comparaison avec le droit
administratif (sécurité, tranquillité, salubrité) reste possible sous l'angle du
système des Nations unies13. Encore faut-il prendre de multiples précautions. En effet, si un « ordre public de police » est décelable - aussi imparfait soit-il -, il s'agit avant tout d'une « police spéciale » dans le domaine de
la sécurité, et son adéquation avec l'ordre juridique en général n'est pas
une évidence. En effet, le système des Nations unies a généré dès 1945
une forme de police de la sécurité, avant que le droit international ne se
dote d'une manière chaotique de « prescriptions d'ordre public » sous la
forme des normes impératives de jus cogens apparues dans la convention
de Vienne de 1969 sur le droit des traités. Pour Franck Latty, « d'un point
de vue conceptuel, le jus cogens est la transposition analogique en droit
international de la notion d'ordre public en droit interne », et le pilier de
cet ordre serait le Conseil de sécurité, au moins pour l'ordre public
sécuritaire14. Le problème est que, même si le raisonnement par analogie
semble s'imposer, l'adéquation entre les deux n'est pas évidente parce que
« ordre public » et « ordre juridique » ne sont pas forcément en phase.
Incontestablement, les normes impératives créent des règles - mutatis
mutandis - d'un rang constitutionnel au sens normatif en droit international, ce qui ne doit d'ailleurs pas être confondu avec le débat sur le « constitutionnalisme international » (plutôt axé sur des valeurs partagées en
matière de droits de l'homme), même si les deux sont en phase. Il n'en
reste pas moins que ces normes de jus cogens ont souffert - et continuent
de souffrir - d'une absence d'institution pour en contrôler le respect, l'article 53 de la convention de Vienne se contentant d'évoquer la « communauté internationale des États dans son ensemble » pour définir ces normes, sans préciser d'organe compétent pour les contrôler. On peut
toujours souligner que l'effet « arme de dissuasion massive » prime et qu'aucun État ne s'avancerait à conclure un traité violant une telle norme, tout
comme n'importe quelle entreprise mafieuse dans l'ordre interne ne
conclurait pas officiellement un « contrat » pour l'assassinat d'une personne. Si la norme impérative existe, il n'a donc jamais été tiré les conséquences de cette existence pour l'établissement d'un régime d'ordre
public. Certes, on flirte avec la reconnaissance d'obligations erga omnes15
menant à l'actio popularis, et il est de plus en plus admis que tout État a intérêt à dénoncer la violation de normes impératives, mais le Rubicon n'est
13. H. RUIZ FABRI : « L'ordre public en droit international », in M.-J. REDOR (dir.), L'ordre public :
ordre public ou ordres publics ? Ordre public et droits fondamentaux, Bruxelles, Bruylant, 2001,
p. 85-108, p. 89 et 99.
14. Franck LATTY : « L'ordre public sans l'État (quelques remarques sur un oxymore en trompel'œil) », in C.-A. DUBREUIL (dir.), L'ordre public, Cujas, 2012, p. 21 et s, p. 24 et 27.
15. Toute norme de jus cogens est erga omnes, mais toute norme erga omnes n'est pas du jus cogens.
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