Droit et Économie - L'ordre public économique - 275

L'ORDRE PUBLIC CONCURRENTIEL 275

Toutefois, l'intérêt fonctionnel de l'ordre public concurrentiel est d'aller
plus loin. D'abord, en raison de l'association de ses termes, l'ordre public
concurrentiel fournit une justification tout à fait efficace à la rénovation de
l'intervention de l'État dans l'économie, ouvrant une nouvelle ère des rapports entre la puissance publique et le marché et ceux entre la puissance
publique et les libertés économiques, tout en assurant une publicisation
des impératifs concurrentiels. En somme, l'ordre public concurrentiel est
fondateur de la dimension proactive de la puissance publique, d'une puissance publique reprenant la main sur le jeu concurrentiel. Loin d'être originale, cette analyse rejoint celle énoncée par J.-Ph. Kovar, selon laquelle
« l'ordre public économique devient un ordre public concurrentiel. Garant
du bon fonctionnement du marché, l'État ne se limite plus à fixer le cadre
indispensable à l'épanouissement de la concurrence. Il intervient sur le
marché afin de permettre, de protéger ou de créer une concurrence efficiente au détriment, le cas échéant, de la liberté des opérateurs
économiques »68. Les exemples illustrant des rapports d'opposition entre
l'ordre public concurrentiel et les libertés, particulièrement économiques,
sont légion. Sans être exhaustif, l'ordre public concurrentiel fonde une
limite à la liberté d'entreprendre69 ; il justifie un régime encadrant l'exercice de la liberté du commerce et de l'industrie70 ; est organisée, en son
nom, une obligation d'ouvrir d'accès à un bien dans le cadre de la théorie
des infrastructures essentielles71.
Extension des pouvoirs. Ensuite et surtout, l'ordre public concurrentiel valide
la création, la rénovation ou l'approfondissement de différents instruments,
au nom de l'exigence d'efficacité et en réponse à un droit commun réputé
dépassé et inadapté aux problématiques concurrentielles. Jouant le rôle de
« norme de raison »72, l'ordre public concurrentiel est ainsi une ressource
possédant une certaine force performative entre les mains des acteurs : il
contribue à une extension des pouvoirs et donc à une immixtion plus
accrue dans les relations économiques. Le Conseil constitutionnel a, par
exemple, validé le renforcement de certains mécanismes disciplinaires
dans la mesure où ils poursuivaient l'impératif de protection de l'ordre
public concurrentiel et « qu'un tel objectif implique que le montant des
sanctions fixées par la loi soit suffisamment dissuasif pour remplir la
68. J.-Ph. KOVAR, L'État et les modes d'organisation du marché, op. cit., p. 614.
69. Cons. const., 5 août 2015, nº 2015-715 DC, Loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances
économiques.
70. CE, 16 oct. 2013, nº 365067, Société anonyme Électricité de Tahiti [EDT].
71. Cons. conc., déc. nº 96-D-51, 3 sept. 1996, SARL Héli-Inter-Assistance, DA 1997, comm. 89, note
M.-Y. BENJAMIN.
72. D. TRUCHET, « L'intérêt général dans la jurisprudence du Conseil d'État : retour aux sources et
équilibre », EDCE 1999, nº 50, p. 362.
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