Droit et Économie - L'ordre public économique - 370

370 L'ORDRE PUBLIC ÉCONOMIQUE

C'est dire qu'un marché ne peut être considéré comme l'effet de mécanismes immanents qui lui assureraient une sorte d'autorégulation naturelle et
spontanée, ainsi que le laisse croire la métaphore de la main invisible. Est-il
même concevable sans ces institutions étatiques au fonctionnement réglé
qui garantissent les équilibres marchands ? Ainsi que l'écrit
J.-A. Mazères19 : « L'État apparaît donc (...) comme un élément essentiel
sinon déterminant de cette transformation qui donne au marché sa dimension nouvelle, molaire, déterritorialisée, abstraite, et aboutit (...) à l'économie de marché ». Le plus grand libéralisme de marché réclame l'intervention de l'État et l'économie de marché ne saurait être pensée hors des
interventions publiques dans le champ économique. On l'aura compris :
c'est là que se trouvent les conditions de possibilité d'un ordre public économique potentiellement hégémonique. Le même J.-A. Mazères, prenant
appui sur les réflexions de K. Polanyi20, fait valoir que « le marché n'est
pas, ne peut plus être une structure autorégulée par le mouvement naturel
de l'échange et de la rencontre d'intérêts individuels. Pour exister et fonctionner, il doit être autre chose que marchand et il doit dès lors inclure des
mécanismes qui ne se ramènent pas à une simple équilibration des offres et
des demandes »21. C'est dire que l'État est une condition essentielle de
l'existence du marché qu'il corrige autant que de besoin par ses interventions afin de maintenir un équilibre des échanges qui est toujours menacé
de destruction : « dans sa substance même, dans les éléments intrinsèques
qui le constituent, le marché n'est pas seulement établi par l'échange, ni
par les présupposés communs permettant l'échange, mais aussi sur des relations de pouvoir, d'autorité de commandement et de domination. (...) il ne
peut ainsi se traduire seulement par la forme juridique du contrat, mais
implique la reconnaissance de décisions inégalitaires et unilatérales qui en
forment la trame »22.

19. V. J.-A. MAZÈRES, « L'un et le multiple dans la dialectique marché-nation », in B. STERN (dir.),
Marché et nation. Regards croisés, Cedin-Paris1, Perspectives internationales, Paris, Montchrestien, 1995, p. 152.
20. V. K. POLANYI, La grande transformation, Paris, Gallimard, coll. Bibl. des sciences humaines,
1983.
21. Étude préc., p. 157.
22. Même étude, p. 179. V. aussi en ce sens, ces réflexions de J.-F. KERLÉO, « La transparence administrative, ou le néolibéralisme technocratique français », dans F. BOTTINI (dir.), Néolibéralisme
et droit public, Paris, Mare et Martin, coll. Droit public, 2017, p. 361-380 : « L'acculturation du
droit français à l'idéologie néolibérale s'opère non sans une certaine déformation. L'État
adoptant par et pour lui-même des règles censées participer à son démantèlement, il n'est
pas surprenant que la transparence soit mise au service d'une moralisation du marché. La
concurrence est protégée par l'intervention de l'État démontrant combien le marché est
une construction artificielle qui nécessite une régulation publique. Loin d'atteindre les effets
escomptés par la doctrine néolibérale, la transparence légitime la puissance publique et

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