Contextes - Penser l'ancien droit privé - 129

LES HABITS NEUFS DE L'ANTHROPOLOGIE JURIDIQUE

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entre deux impératifs pourtant difficilement conciliables : rester, d'une part,
à un niveau suffisant de technicité juridique, exigence supposant l'utilisation d'un vocabulaire idoine ; respecter d'autre part la logique du système
de droit étudié, volonté impliquant de « ne pas manier des catégories spécifiques des systèmes européens »85.
La voie médiane suggérée par Jean Poirier se justifie par le fait qu'il
existerait, selon lui, des concepts juridiques neutres : la quotité disponible,
par exemple, s'analyse sous sa plume comme une donnée de fait aisément
transposable aux sociétés africaines. De même, certaines catégories juridiques trouvent des équivalents en Afrique, même si elles portent un nom
différent, ou n'ont pas de dénomination spécifique. D'autres concepts,
en revanche, facilement naturalisés par l'enquêteur formé au droit occidental, doivent impérativement faire l'objet d'une vérification préalable
au regard de leur adéquation avec la réalité africaine. Ainsi, les binômes
meuble/immeuble, ou droit réel/droit personnel, sans être rejetés dans
leur principe, doivent, a minima, être interrogés par l'enquêteur86. Ceci
posé, le questionnaire lui-même confirme la volonté de synthèse de son
auteur. Totalisant 36 pages, il se subdivise en douze parties, reprenant
les grandes divisions classiques du droit87. Le document révèle certes la
présence de très nombreux concepts juridiques occidentaux : on y évoque
la puissance paternelle, l'obligation alimentaire, l'incapacité des mineurs, la
tutelle ou encore les droits réels et la propriété. Si ces termes occidentaux
sont conservés par Poirier par commodité, celui-ci assortit fréquemment
ses questions de quelques précautions terminologiques de bon aloi. La
question 83 est par exemple ainsi formulée : « existe-t-il un contrôle ou
une autorité analogue aux fonctions de subrogé tuteur ? ». Une note de
bas de page vient aussitôt définir le sens de ce dernier terme « dans les
droits européens »88. De la même manière, la question 161, incluse dans le
chapitre VIII sur la dissolution de l'union, s'interroge : « le concept juridique de nullité existe-t-il ? ». La note de bas de page afférente précise que,
par souci de simplification, les cas d'annulation sont inclus dans le terme
de dissolution, bien qu'il ne s'agisse que d'une commodité d'exposition.
La première interrogation de l'enquêteur, résume Poirier, consiste à « savoir
85. Ibid., p. 14-15.
86. Ibid.
87. I) Éléments destinés à la caractérisation sommaire du groupe étudié ; II) Le nom ;
III) Filiation et puissance paternelle - Disparition ; IV) Statuts particuliers et servitudes
sur personnes ; V) Cas d'interdiction - Formes coutumières de tutelle et d'adoption ; VI)
Fiançailles et conditions de mariage ; VII) Mariage - Situation des époux ; VIII) Dissolution
de l'union ; IX) Successions ; X) Droit foncier - Propriété ; XI) Obligations et contrats ;
XII) Organisation judiciaire et procédure - Conciliation et arbitrage coutumiers ; Annexe
- ancien droit coutumier répressif.
88. J. Poirier, Questionnaire d'ethnologie juridique appliqué..., op. cit., p. 25.

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