Contextes - Penser l'ancien droit privé - 156

148

CONTRATS ET PROPRIÉTÉ

anciens ne confèrent pas explicitement à cette distinction une telle fonction. Ni les Institutes de Gaius ni celles de Justinien ne classent les règles
qu'elles indiquent selon cet ordre. Le titre de obligationibus et actionibus
du Digeste (D. 44.7) mêle indistinctement quelques règles qui peuvent
être considérées comme relatives à la formation des contrats aux diverses
classifications des obligations (contractuelles/délictuelles/variis causarum
figuris ; et pour les obligations contractuelles : re/verbis/litteris/consensu)
et à des règles qui seraient aujourd'hui rangées dans la catégorie des
règles d'exécution (par exemple, la règle - d'exécution ? - selon laquelle
le filius ne peut agir contre son pater). Évidemment, l'idée que certains
éléments concourent à la formation de l'obligation contractuelle tandis
qu'elle prend fin par le fait de certains événements n'est pas étrangère aux
juristes romains. Lorsqu'il évoque la solutio, Ulpien la définit comme la
manière de s'acquitter de quelque chose, comme une forme d'exécution
- satisfactio - et ajoute, dans un fragment repris au de verborum significatione : effectuer un paiement, c'est faire ce qu'on a promis (D. 50.16.176).
Le même, à propos de l'action tirée de la chose jugée et de la manière de
satisfaire à l'obligation de payer qui résulte du jugement (D. 42.1.4.7)
indique que le débiteur est censé avoir accompli la solutio de cette obligation non seulement s'il a payé mais encore s'il s'en est libéré d'une
autre manière (le fragment suivant évoque par exemple l'abandon d'un
esclave réalisé par celui qui a été noxali condemnatus). Mais il existe des
hypothèses dans lesquelles la formation et l'exécution se réalisent dans le
même temps et par le même geste. Tel est le cas des contrats innommés,
dans lesquels il est difficile de considérer l'accomplissement par l'une des
parties d'une prestation comme un acte de formation, parce qu'il faudrait
alors identifier l'obligation ainsi formée alors que, en réalité, on ne peut
plus rien exiger de celui qui a agi de la sorte (pour lui, l'acte qu'il vient
d'accomplir relève à la fois de la formation et de l'exécution).
Aux Temps Modernes et dans le royaume de France, la valeur didactique ou heuristique de cette distinction telle qu'elle est généralement
entendue aujourd'hui ne paraît pas plus évidente. Nos anciens juristes
ne s'y soumettaient d'ailleurs pas tous, dévoilant par-là peut-être une
conception particulière du contrat. La structure du Traité des contrats
d'Antoine Despeisses par exemple n'est pas fondée sur cette distinction,
mais s'organise autour de quatre parties. Ce sont quatre parties également
qui divisent le Traité des obligations de Pothier, dont l'architecture générale n'obéit pas précisément à la distinction formation-exécution. Dans
la première, l'auteur évoque ensemble ce qui appartient à « l'essence » des
obligations et leurs « effets ». Dans la suite de cette première partie, la
distinction s'efface devant la tripartition, empruntée à la doctrine du siècle
précédent, entre les essentia, naturalia et accidentalia. Or les essentialia ne
Contextes - Penser l'ancien droit privé

Table des matières de la publication Contextes - Penser l'ancien droit privé
