Contextes - Penser l'ancien droit privé - 183

ABSTRACTION ET ANACHRONISME

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les conditions d'application de l'interdit utrubi, qui était concédé par le
préteur aux possesseurs de biens meubles pour les protéger de tout ennui
dans la jouissance du bien74. Le juriste antonin observait que dans certains
cas il était possible d'additionner à la durée de sa propre possession celle
d'un autre pour se prévaloir de l'interdit75. Toutefois, cela n'était pas admis
quand la personne qui se prévalait de l'interdit n'avait aucune possession.
La notation ei, quod nullum est, nihil accedere potest expliquait cette règle.
Gaius observait que celui qui demandait la concession de l'interdit utrubi,
s'il n'était pas possesseur, ne pouvait se prévaloir de la possession autrui car
il était impossible d'additionner un élément à quelque chose d'inexistant.
Cette explication ne se référait pas de manière générale à un acte juridique
vicié pour lui nier tout effet. Il n'était même pas véritablement question des
effets d'un acte ou d'une situation juridique, mais il s'agissait d'une règle
de procédure. Le passage de Gaius 4.151 ne peut dès lors pas être employé
comme un argument à soutien de la théorie de Di Paola.
Une deuxième remarque s'impose. Cette reconstruction porte clairement les traces de l'élaboration pandectistique avec sa distinction entre les
catégories de la validité et de l'efficacité du negotium. Plus généralement,
elle porte les marques d'une pensée très abstraite76. Il semble douteux que la
jurisprudence romaine pouvait distinguer entre un acte nul et un acte inutile
dépourvu de manière congénitale de toute efficacité. Pourtant, Di Paola,
tout au long de ses écrits consacrés à cette thématique, a constamment mis
l'accent sur la nécessité pour le romaniste de se conformer aux sources
romaines en respectant leurs spécificités. Il a insisté sur l'importance de ne
pas faire entrer les concepts romains dans le moule des dogmes modernes.
Toutefois, la sensation que l'on a à la lecture de la distinction entre inutilité et nullité est celle d'une bipartition abstraite qui essaie à tout prix de
mettre de l'ordre dans les sources romaines. Cela montre bien la difficulté
que l'interprète peut rencontrer dans l'étude des textes romains. Même un
romaniste parfaitement conscient des difficultés liées à l'exégèse des sources
peut être en proie à l'abstraction et à la systématisation. Le poids des siècles
d'abstraction et de recherche d'un système cohérent pèse sur le romaniste
et notre forma mentis se révèle souvent un filtre qui fausse les sources.

74. Voir, M. Kaser, Das römische Privatrecht, op. cit., t. I, p. 396 sq. ; G. Nicosia, « Vitiosa
e iniusta possessio », IVRA, t. 63, 2015, p. 9 sq.
75. Sur l'accessio possessionis : F. P. Migliocca, « Per la formula dell' "interdictum utrubi" »,
Studia et documenta historiae et iuris, t. 33, 1967, p. 227 sq.
76. À ce propos, R. Quadrato, Sulle tracce dell'annullabilità..., op. cit., p. 2 observait à bon
droit que « la tentazione di ricorrere a categorie estranee al pensiero antico non manca di riaffacciarsi [...] essa è presente, sia pure in modo inconsapevole, in tutte le posizioni di pensiero,
più o meno vicine ai nostri giorni, che tendono comunque a ridurre e a semplificare la varietà
e la complessità della casistica romana entro alternative concettuali più o meno rigorose. »

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