Contextes - Penser l'ancien droit privé - 75

L'ATEMPORALITÉ ET L'AUTONOMIE

troisième composante est celle qui suscite le plus de difficultés. Son histoire
a été sinueuse. En bref, disons qu'une société tant soit peu commerçante
a besoin d'un fort minimum de liberté contractuelle comme gage d'efficacité économique. Ainsi l'ordre public féodal recule à partir du xie siècle qui
voit le développement des villes et des foires. Puis à l'aube du capitalisme,
les Physiocrates dénoncent celles des entraves à la liberté du commerce
qui subsistent encore. Ils obtiendront gain de cause avec la Révolution
et le code civil, mais de nos jours un grand nombre de contrats se voient
imposer une réglementation impérative et souvent détaillée, sans parler
des contrats d'adhésion. Toutefois la liberté contractuelle subsiste dans
la vie des affaires et comme symbole fort. D'ailleurs elle s'est vue reconnaître une valeur constitutionnelle12 comme découlant de l'article 4 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Tout de même le Conseil
a tenu à constitutionnaliser la liberté contractuelle avec ses exceptions et
malgré celles-ci.
Parlons maintenant de la responsabilité dite aquilienne. La loi Aquilia
sanctionnait d'une amende (sans rapport avec le préjudice) certains délits
civils nommément désignés. Parmi eux, le damnum injuria datum (le
dommage causé sans droit) a peu à peu conquis son autonomie, caractérisée
par sa plus grande généralité et par sa prise en compte tant du préjudice que
de la faute la plus légère. Enfin les canonistes, toujours pour des raisons
morales, ont progressivement élaboré la clausula generalis qui, via Domat
et Pothier, figure désormais à l'article 1382 du code civil. Et observons
que le principe (ou peut-être la règle) culpa lata dolo aequiparatur, qui
date du Bas-Empire, tient encore la route, en quoi on peut voir un indice
de continuité. Certes le concept de responsabilité ne date, sauf erreur, que
du xviiie siècle, mais en dépit de sa formulation récente, le principe de la
responsabilité pour faute a des lettres d'ancienneté indiscutables.
Lié à la théorie de l'obligation, le principe nemo praecise cogi potest
ad factum suscite toutes sortes de réflexions. Bien que formulé quelque
mille ans plus tard, il jouait à plein en droit romain tant que le juge n'était
qu'une personne privée et que par conséquent les obligations inexécutées,
même celles de dare, n'appelaient que des condamnations pécuniaires. Puis
avec la procédure extraordinaire, le juge devient un agent de l'empereur
et a donc les moyens de contraindre ad factum : il ne doit s'en abstenir
que pour les obligations à caractère personnel. Néanmoins le Digeste, en
cas d'obligation de faire, recommande une condamnation pécuniaire, sauf
pour la livraison d'une chose. Prend-il en compte le caractère déplaisant
de la contrainte sur l'homme ou pragmatiquement la probable médiocrité
de l'exécution ainsi obtenue ? C'est Antoine Favre, président du Sénat de
12. Conseil constitutionnel, 19 décembre 2000, décision n° 2000-437 DC.

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