Bibliothèque de droit public - Tome 300 - Nationaux et étrangers en droit public français - 233

UNE SOUMISSION INÉGALE AU POUVOIR DE CONTRAINTE DE L'ÉTAT

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conjoncturelle. En effet, si la succession des réformes législatives depuis les années
1980 semble mettre en lumière le rôle que doit jouer la loi dans la définition des
normes applicables aux ressortissants étrangers, une analyse plus précise de cette
législation nous permet de constater en réalité une mise en retrait du législateur. 
306. Le rôle central du gouvernement dans la formation du droit des étrangers est révélé tout d'abord par la pratique constitutionnelle. En effet, toutes les
lois votées entre 1980 et 2013 ont pour origine un projet gouvernemental. Cependant, cette statistique ne peut être pleinement considérée, en elle-même, comme
révélatrice d'une particularité du droit des étrangers tant il est vrai qu'elle peut
être rattachée à l'économie générale du système de la Ve République caractérisée
par une prépondérance des projets sur les propositions de loi42. Ainsi, il semble
que la question des compétences en droit des étrangers porte en réalité davantage
sur la répartition des domaines de la loi et du règlement que sur celle des compétences au sein de la matière législative entre le Parlement et le Gouvernement. 
En effet, en adoptant une définition non plus seulement formelle mais aussi
matérielle de la loi43, et en permettant au Gouvernement de s'imposer dans le
processus législatif, la Ve République a déplacé en partie le rapport entre le Parlement et le Gouvernement, ne le faisant plus nécessairement coïncider avec la
répartition du domaine de la loi et de celui du règlement. L'analyse de cette dernière répartition au sein de la législation des étrangers doit donc tenir compte de
ce changement majeur qui a permis au Gouvernement d'être à l'initiative et de
maîtriser le contenu des réformes législatives dans toutes les matières qu'il juge
fondamentales à l'action politique, sans pour autant favoriser nécessairement le
règlement au détriment de la loi. C'est pourquoi le fait seul que le Gouvernement
soit à l'origine de toutes les réformes législatives en matière d'entrée et de séjour
des étrangers révèle aujourd'hui tant la prégnance du pouvoir exécutif dans le
droit des étrangers que l'importance que revêt la matière au sein du projet politique. Il semble donc difficile de n'invoquer que ce fait pour fonder l'observation
selon laquelle le statut des étrangers est avant tout un régime de police fondé sur
une préservation du pouvoir réglementaire et donc de l'action de l'exécutif.
Ainsi, c'est en réalité dans l'indétermination de la loi que l'on peut constater
la volonté de monopole du pouvoir réglementaire sur le statut des étrangers. C'est
en portant des réformes qui renforcent le pouvoir du préfet dans l'appréciation
des critères de délivrance d'un titre de séjour ou de départ d'un étranger que le
droit renforce les prérogatives de l'administration et permet, à travers l'indétermination des dispositions législatives, un élargissement du domaine du règlement, le
décret ou la circulaire étant presque toujours nécessaires pour définir un cadre
d'application et combler les lacunes de la loi. C'est pourquoi cette dernière ne
semble jamais contraindre l'administration à se prononcer dans un sens
42. Cette tendance est confirmée par les statistiques publiées au terme de chaque législature par
l'Assemblée nationale et n'a jusqu'alors pas subi de changement radical, y compris après la révision
constitutionnelle de juillet 2008 visant à revaloriser le travail parlementaire. Le bulletin annuel publiant
les statistiques de la session 2008-2009 faisait ainsi état de 73 projets de loi adoptés contre 11
propositions (v. le Bilan de la législature (20 juin 2007 - 19 juin 2012) publié sur le site de l'Assemblée
nationale) tandis que celui de la session 2013-2014 établit un nombre de 73 projets de loi adoptés en
2013 contre 27 propositions, (v. Bulletin annuel de l'Assemblée nationale, bilan statistique 2013-2014,
publié sur le site de l'Assemblée nationale, p. 16). Si le nombre de propositions est en augmentation
manifeste, la proportion reste néanmoins très nettement en faveur des lois d'origine gouvernementale.
43. L'article 34 de la Constitution dispose ainsi que la « loi fixe les règles concernant ».
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