Bibliothèque de droit public - Tome 300 - Nationaux et étrangers en droit public français - 66

NATIONAUX ET ÉTRANGERS EN DROIT PUBLIC FRANÇAIS

puissance, d'un État. La procédure de naturalisation à laquelle est soumis l'indigène
sujet français - juridiquement français - constitue donc bien, selon l'expression de
Zouhir Boushaba, une « dénaturation de la notion de nationalité »106. Au regard du
droit de la nationalité française, la situation de l'indigène relevant du ministère des
colonies, qu'il soit sujet, protégé ou administré, est simple : il ne peut devenir français,
dans le sens où le droit l'entend aujourd'hui, que par naturalisation. Il s'agit d'une
dénaturation107 des termes tels qu'ils sont conçus par le droit moderne.
Aujourd'hui, la nationalité ne semble avoir de sens que parce qu'elle permet
d'ouvrir à la communauté politique, d'entrer dans la nation. Il apparaît ainsi, à
travers cet exemple du droit colonial, que penser une nationalité sans citoyenneté
revient à dénaturer la notion de nationalité telle qu'elle est entendue par le droit
aujourd'hui. Nous décelons ainsi la nature profonde du droit actuel de la nationalité, pur produit de l'État moderne. La « vraie » nationalité « c'est-à-dire celle
qu'on impute en france à l'État unitaire, est un statut global qui uniformise la
situation juridique d'un individu et qui englobe aussi bien le statut de droit privé
que le statut de droit public. Le simple fait d'avoir la nationalité emporte de plein
droit la jouissance d'un statut civil et politique identique »108. Retirer la citoyenneté à la nationalité en fait donc une notion « amputée », privée d'une partie de
son sens et ce même si certains autres droits lui sont rattachés. Si elle est le lien
avec l'État et la marque de sa domination personnelle, la nationalité est également
le lien entre l'individu et la nation, c'est-à-dire la « communauté des citoyens »109.
Elle doit aussi impliquer par nature les droits politiques. La nationalité ainsi
conçue, vidée de ses principaux droits et de son sens ne peut en effet devenir pleine
que par une procédure réservée en droit français à l'étranger. C'est ce qui conduit
Patrick Weil à soulever que « jamais ailleurs qu'en Algérie, le régime républicain
n'avait poussé si loin la confusion entre les mots du droit et les choses du vécu et
vidé de leur contenu les termes mêmes de nationalité et d'égalité »110.
B. IMPLICATIONS CONTENTIEUSES PRÉSENTES DU DROIT
COLONIAL DE LA NATIONALITÉ
81. Abandonné en 1962, le droit colonial de la nationalité a encore
aujourd'hui de nombreuses répercussions en droit interne. Après l'indépendance
de l'Algérie, les autorités françaises ont été contraintes de fonder à nouveau en
droit les catégories de populations d'Algérie reconnues comme étant de nationalité française et celles reconnues comme étant de nationalité désormais étrangère,
c'est-à-dire algérienne. Le statut en vigueur sous l'administration française est
recherché afin de définir le statut des personnes. La distinction entre nationalité
et citoyenneté devient alors une distinction entre national et étranger, laissant à la
charge du requérant la preuve de son appartenance à l'une ou l'autre catégorie
sans que leur qualité de français passée ne leur garantisse un agrément présent.
106. z. boushaba, Être Algérien hier, aujourd'hui et demain, éd. Mimouni, 1992, p. 45.
107. Terme employé par p. weil dans son article « Le statut des musulmans en Algérie coloniale.
Une nationalité française dénaturée », European University Institute, Florence, Working Paper HEC,
n° 2003/3, 2003, http://www.iue.it/PUB/HEC03-03.pdf, p. 6.
108. o. beaud, préface de la thèse de y. urban, précitée, p. 21.
109. Expression de dominique schnapper, in La communauté des citoyens. Sur l'idée moderne de
nation, Gallimard, 2003.
110. p. weil, « Le statut des musulmans en Algérie coloniale. Une nationalité française
dénaturée », art. préc.

http://www.iue.it/PUB/HEC03-03.pdf

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