Bibliothèque de finances publiques et fiscalité - Tome 63 - La transparence dans le droit budgétaire de l'État en France - 253

UNE NOTION EN QUÊTE DE CONSÉCRATION EN DROIT PUBLIC FINANCIER FRANÇAIS

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C'est également sous le prisme de l'estimation des recettes et des dépenses
que Paul-Leroy Beaulieu appréhende la question, pour qui « la sincérité la plus
complète doit présider aux prévisions »24.
600. L'avant-projet de loi organique issu des travaux de la commission Jacomet25 prévoyait, en son article 53, que le projet de loi de règlement fût accompagné « d'un rapport de la Cour des comptes sur la sincérité des comptes de l'État ».
On notera que la commission ne parle pas de la sincérité comme d'un principe
contrairement aux principes de totalité26 et d'uniformité27 qu'elle préconisait. Le
projet n'a jamais été mis en œuvre. Le décret du 19 juin 1956 (art. 65) et l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 (art. 36) se contenteront d'exiger une déclaration générale de conformité. La référence au terme « sincérité » disparaît.
601. Une proposition de loi du 12 juillet 1912 tendait « à assurer la clarté, la sincérité et l'unité des écritures comptables ». Son rapporteur, Louis Marin, présentait le
souhait des parlementaires dans ce domaine : « Il ne suffit pas, dit-il, que les écritures
budgétaires nous révèlent l'objet précis auquel seront théoriquement appliqués les crédits
inscrits au budget. Il faut que nous puissions juger si les prévisions dressées par les administrations sont sincères ; l'expérience a malheureusement montré que ce souci de sincérité ne présidait pas précisément à l'établissement de notre projet actuel de budget. »28.
602. L'exigence de sincérité dans le domaine financier public n'est pas donc
nouvelle. C'est ainsi que Jean-François Joye peut affirmer que la sincérité est non
seulement le « premier principe financier »29 mais également « un principe cardinal,
peut-être le plus fondamental en tant qu'il couronne l'édifice juridique financier et lui
assure une unité conceptuelle »30. Dès lors, il tentant de se demander pourquoi le
principe même de sincérité budgétaire a mis si longtemps à apparaître. Il y a, à
notre sens, quatre raisons essentielles. Les premières sont juridiques. La sincérité
a à voir avec la bonne foi. Or, en droit, la bonne foi se présume. Il n'y a donc pas
besoin de l'exiger expressément. Elle « est tellement évidente, à l'époque, qu'elle n'a
jamais été posée par les textes »31.
603. Viennent ensuite des raisons politiques. Le contexte de mise en place
des principes budgétaires classiques est un contexte de fortes oppositions politiques. Rien ne semblait possible sans le jeu des concessions et des compromis
réciproques. Or, ce serait placer les choses sous des auspices biens conflictuels que
d'exiger de l'Exécutif la sincérité. Cela reviendrait à douter ouvertement de sa
bonne foi ; ce qui pourrait l'amener à se raidir et donc à renoncer aux salutaires
concessions qui ont conduit à la réglementation budgétaire.
24. Paul LEROY-BEAULIEU, Traité de la science des finances. t. 2, Le budget et le crédit public,
Guillaumin et Cie, 1906, p. 41.
25. A. LE HENAFF, « Rapport sur la définition du budget », in Robert JACOMET (dir.), La
Réforme budgétaire, Paris, Éditions de l'Épargne, 1954, t. 1, p. 26.
26. En vertu du principe de totalité, « le budget général de l'État englobe toutes les dépenses et
recettes effectuées par l'ensemble des services centralisés ». Idem, p. 14.
27. « Le budget doit être uniforme, ce qui suppose que les dépenses, ainsi que les recettes, soient
soumises aux mêmes disciplines d'universalité, d'annualité, de spécialité par chapitres, etc. », idem, p. 16.
28. Cité par Gaston JÈZE, Cours élémentaire de science des finances et de législation financière
française, Paris, Marcel Giard, 1931, p. 126.
29. Jean-François JOYE, « La sincérité, premier principe financier », RFFP n° 111, septembre
2010, p. 18.
30. Ibidem.
31. Éric OLIVA, Finances publiques, Sirey, 3e éd., 2015, p. 13.

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