Bibliothèque de finances publiques et fiscalité - Tome 63 - La transparence dans le droit budgétaire de l'État en France - 55

LES OBSTACLES ASSUMÉS : L'OPACITÉ LÉGITIMÉE

éclatement entre différents chapitres budgétaires. Dans plusieurs circonstances, il
s'agit d'éviter que les coûts d'un certain nombre de programmes et/ou activités
soient connus. Typiquement, tout ce qui touche à l'armement nucléaire, pour les
pays qui en sont dotés, est presque impossible à traduire budgétairement. Le
recoupement des données, même finement réalisé, ne permet pas de faire le total
exact. Pierre Messmer, ministre des Armées, s'adressant aux députés lors d'une
séance du 23 octobre 1967, le faisait remarquer. « Il y a, disait-il, des secrets militaires qui se traduisent par des silences budgétaires... Vous ne trouverez nulle part
dans le budget militaire la possibilité de calculer exactement le prix de revient de
notre armement atomique. C'est trop volontairement que nous l'avons fait5. »6 Parfois, les techniciens de la présentation budgétaire s'interrogent sur ce qu'il faut
retenir au sens de ces missions7. Pour la Défense nationale, par exemple, supposer
que ses crédits se réduisent au budget du ministère de la Défense est nécessairement une erreur puisque bien d'autres budgets ministériels ont vocation à financer des dépenses militaires. C'est d'ailleurs cette dernière notion de « dépenses
militaires », plutôt que celle du budget militaire, qui permet de mieux rendre
compte de la réalité des crédits. Des questions se posent également sur le fait de
savoir si les pensions militaires, par exemple, participent de la mission de Défense.
Cela suppose d'ailleurs que les crédits soient budgétisés. Dès fois, le choix est fait
de faire des dépenses sensibles en dehors du cadre budgétaire. C'est le cas au Portugal8 et en Grèce9.
84. Aux États-Unis, la difficulté d'obtenir une information fiable sur les projets de budget des services de renseignement est accrue par la multiplicité des
organes concernés. Au moins, une quinzaine de services de renseignement s'y
côtoient. La création de la Central Intelligence Agency (CIA) a très tôt posé la
question de ses moyens de fonctionnement10. La section 9 de l'article 1er de la
Constitution américaine se révélait être un obstacle majeur. Il impose, non seulement que les crédits destinés aux dépenses publiques soient ouverts par le biais du
vote du Parlement, mais encore qu'une publicité régulière de l'utilisation des
sommes soit assurée. La solution a été trouvée par le CIA act de 1949 qui autorise
l'agence à instituer un « black budget », qu'il alimente, si besoin est, par la captation
5. C'est nous qui soulignons.
6. Cité par Paul-Mairie GAUDEMET et Joël MOLINIER, Finances publiques, tome 1, Budget/
Trésor, Montchrestien, 7e éd., Paris, 1996, p. 115.
7. Le Professeur Jacques ABEN le montre bien lorsqu'il faut observer que « ces questions,
l'économiste n'est pas le seul à se les poser. Les responsables de la présentation du budget du ministère de
la Défense ont périodiquement à le faire aussi, pour respecter le principe de transparence grâce auquel la
représentation nationale peut tenter de contrôler l'action de l'exécutif en cette matière. » Jacques ABEN,
« Quelques questions in limine litis », in Jacques ABEN et Jacques PERCEBOIS (coordination), Le
fardeau de la sécurité. Défense nationale et Finances publiques, Éd. L'Harmattan, 2004, p. 22.
8. Madame FERREIRE-LEITE faisait ainsi remarquer qu'« une somme considérable des
dépenses publiques n'apparaît pas dans le budget, s'agissant notamment de la Défense et de la construction
d'autoroutes. Les Parlements ne maîtrisent absolument pas ces dépenses, ce qui rend les chiffres du déficit
budgétaires peu fiables. » in Sénat (colloque), Processus budgétaire, vers un nouveau rôle du Parlement,
Paris, 24-25 janvier 2001, p. 180.
9. Ainsi, la crise grecque est-elle en partie due au fait que l'équilibre budgétaire du pays a été
négativement impacté, entre autres, par des dépenses militaires extrabudgétaires. Partenariat
budgétaire international, Enquête sur le budget ouvert 2010, p. 16.
10. Michael E. SALLA, « The Black Budget Report : An Investigation into the CIA's 'Black
Budget' and the Second Manhattan Project », 23 novembre 2003. http://www1.american.edu/salla/
Articles/BB-CIA.htm

http://www1.american.edu/salla/

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