Bibliothèque de finances publiques et fiscalité - Tome 63 - La transparence dans le droit budgétaire de l'État en France - 95

LES OBSTACLES NIÉS : L'OPACITÉ RÉFUTÉE

des Exécutifs, en plus de vider le budget de sa charge politique, se manifeste
également par la violation des règles destinées à la transparence.
2. Une forte tendance à la méconnaissance des règles protectrices
de la transparence
178. Les règles budgétaires, du fait de la finalité qu'on leur assigne, peuvent
apparaître très vite comme une grande contrainte pour des régimes structurellement opaques. Leur méconnaissance est parfois saisissante. La première des
questions se pose au niveau même des prévisions budgétaires. Apanage de l'Exécutif, elles sont parfois critiquables sous l'angle de la sincérité. Si presque tous
les régimes concernés ont des organes de prévision, c'est la fiabilité des données
qui fait défaut. Pour ce qui est des régimes autoritaires, sur le plan de la prévision budgétaire, ils se caractérisaient tous par un optimisme exagéré, « des
sophismes exprimés en chiffres »40. La sincérité n'y trouvait presque jamais une
mise en œuvre satisfaisante. Leur obsession de l'équilibre des finances poussait
les Exécutifs autoritaires à faire des prévisions budgétaires très peu réalistes.
Pour Jacques Georgel, les méthodes de Salazar avaient fait « l'admiration de ses
contemporains ; elles consistent, pour équilibrer le budget, à sous-estimer volontairement les recettes et à supprimer le plus de dépenses. Ainsi mettait-il fin au
déficit chronique »41. L'Union soviétique présentait les mêmes lacunes. Les
recettes et les dépenses étaient autoritairement calquées sur les résultats prévus
dans le cadre des plans économiques, lesquels fixaient des objectifs très souvent
beaucoup trop ambitieux pour être atteints. Le régime du Premier Empire avait
recours aux mêmes méthodes. En plus de procéder aux surestimations de
recettes et aux sous-évaluations de dépenses, l'Empereur ne faisait pas tout figurer au budget comme l'attestaient l'existence et la gestion du domaine de l'extraordinaire. Toutes les rigueurs promises dans la gestion des finances publiques
s'affaissaient devant l'extraordinaire42, véritable « trésor personnel »43 de l'Empereur. Tout y était opacité. Il n'y avait aucun contrôle. La volonté seule de
l'Empereur y tenait lieu de règle. Benito Mussolini n'avait pas davantage séparé
clairement les ressources publiques de ses revenus propres. Il disposait d'immenses sommes publiques qu'il partageait librement. Fonctionnaires, dignitaires du parti comme simples particuliers avaient ainsi droit aux largesses du
« bon Duce »44 dont le mythe est à ce prix pour les finances publiques, selon
Jean-Yves Dormagen. Yves Bouthillier, ministre des Finances du régime de
Vichy, montre à quel point la dissimulation jouait dans la politique budgétaire
du gouvernement de l'époque45.
40. Ainsi parlait Nicolas François MOLLIEN de la représentation erronée que Napoléon avait
de la réalité budgétaire, Mémoires d'un ministre du trésor public, 1780-1815, t. 2, op. cit., p. 156.
41. Jacques GEORGEL, Le salazarisme, Histoire et bilan 1926-1974, op. cit., p. 220.
42. Michel BOTTIN, « Gestion publique et contrôle des finances publiques sous la
Restauration », in Philippe BEZES, Florence DESCAMPS, Sébastien KOTT, Lucile TALLINEAU
(dir.), L'invention de la gestion des finances publiques, Élaborations et pratiques du droit budgétaire et
comptable au XIXe siècle (1815-1914), Comité pour l'histoire économique et financière de la France,
Paris, 2010, p. 160.
43. Nicolas François MOLLIEN, Mémoires d'un ministre du Trésor public, 1780-1815, t. 2,
op. cit., p. 487.
44. Jean-Yves DORMAGEN, Logiques du fascisme : L'État totalitaire en Italie, Fayard, 2008,
p. 279.
45. Yves BOUTHILLIER, Le drame de Vichy, t. 2, Finances sous contraintes, Librairie Plon,
Paris, 1951, p. 334.

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