Bibliothèque de droit privé - Tome 579 - Le pouvoir normatif de la Cour de cassation à l'heure actuelle - 101

DERRIÈRE LE CAS D'ESPÈCE

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1. La formation d'une jurisprudence
96. Lorsqu'il s'agit de construire une nouvelle jurisprudence à petits pas, on
repère, en principe, trois étapes essentielles, marquées par trois arrêts importants :
un « ballon d'essai », qui lance l'idée, un « arrêt intermédiaire » qui la développe
et enfin l'affirmation de la « position nouvelle »107, selon la terminologie de
Monsieur Rémy Libchaber.
La Cour de cassation a procédé ainsi pour reconnaître au juge le pouvoir
d'annuler des clauses abusives qui n'avaient pas été prohibées par décret.  Les
arrêts des 16 juillet 1987108 et 25 janvier 1989109 constituèrent un ballon d'essai, par
lequel la Cour annulait des clauses qui n'avaient pas été interdites tout en se justifiant au regard des circonstances particulières de l'espèce110. Devant les réactions
favorables de la doctrine111, la Cour de cassation faisait un pas de plus dans l'arrêt
du 6 décembre 1989112, où elle censurait les juges du fond pour avoir annulé une
clause qui n'était pas prohibée, sans avoir caractérisé « en quoi [la clause était]
constitutive d'un abus de nature à la priver d'effet ». La portée de l'arrêt dépassait
cette fois les circonstances de fait et annonçait la règle à venir, puisqu'il était suggéré, a contrario, que le juge disposait d'un pouvoir général d'annulation des
clauses abusives dès lors qu'elles correspondaient à la définition légale. Après cet
arrêt intermédiaire, la position nouvelle fut enfin admise « explicitement »113 dans
un arrêt du 14  mai 1991114qui approuvait les juges du fond d'avoir annulé une
clause non prévue par décret mais remplissant les exigences légales.
Le cheminement fut le même au sujet de la création de l'obligation prétorienne de contracter de bonne foi. La notion est d'abord apparue à côté du
concept légal de dol, qu'elle venait seulement « épauler »115. Dans un arrêt du
21 janvier 1981, la Cour de cassation déclarait qu'il y avait « existence d'un dol,
dès lors que [le contractant] a manqué à son obligation de contracter de
107. R. LIBCHABER, « Autopsie d'une position jurisprudentielle nouvellement établie », note
ss Civ. 1re, 15 mai 2002, RTD civ. 2002, p. 604.
108. Civ.  1re, 16  juill. 1987, D.  1987, somm. 456, note AUBERT, D.  1988.49, note CALAISAULOY, JCP 1988.II.21001, note PAISANT, RTD civ. 1988.14, obs. J. MESTRE.
109. Civ. 1re, 25 janv. 1989, D. 1989. Jur. 253, note P. MALAURIE.
110. C'est l'indivisibilité de deux clauses (Civ. 1re, 16 juill. 1987, précit.), dont l'une seulement
était interdite ou l'indivisibilité de deux contrats, alors que la clause n'était prohibée que dans le
cadre de l'un d'eux (Civ.  1re, 25  janv.  1989, précit.), qui fondaient la position adoptée. Le juge
maintenait donc la règle antérieure, selon laquelle seul le gouvernement peut identifier les clauses
abusives, tout en l'attaquant par le versant des faits, c'est-à-dire « la mineure » du syllogisme
(P. MALAURIE, note précit.)
111. Les auteurs y virent « une lueur d'espoir dans la lutte contre les clauses abusives » (CALAISAULOY, note précit.).
112. Civ. 1re, 6 déc. 1989, D. 1990.289, note GHESTIN, JCP 1990.II.21534, note DELEBECQUE,
Defrénois 1991. 366, obs. AUBERT, RTD civ. 1990.277, obs. MESTRE.
113. J. CARBONNIER, Droit civil, Les obligations, t. 4, PUF, coll. « Thémis », 19e éd., 1995,
n° 83, p. 148.
114. Civ.  1re, 14  mai 1991, D.  1991, p.  449, note GHESTIN et Somm.  320, obs.  AUBERT,
JCP 1991.II.21763, note PAISANT, CCC 1991, n° 160, note L. LEVENEUR, Defrénois, 1991, 1268,
obs. AUBERT, RTD civ. 1991. 526, obs. J. MESTRE. L'arrêt rendu le 26 mai 1993 (D. 1993.568, note
PAISANT, Defrénois 1994.352, obs. DELEBECQUE, RTD civ. 1994.97, obs. J. MESTRE) confirma
cette évolution : il formula solennellement la règle nouvelle, dans un chapeau, détaché de son
application à l'espèce : désormais le juge a le pouvoir de compléter la liste des clauses abusives, à
l'instar du gouvernement.
115. R. LIBCHABER, obs. ss Civ. 1re 13 mai 2003, Defrénois 2003, p. 1568.
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