Bibliothèque de droit privé - Tome 579 - Le pouvoir normatif de la Cour de cassation à l'heure actuelle - 162

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LE POUVOIR NORMATIF DE LA COUR DE CASSATION À L'HEURE ACTUELLE

certes reculé avec le temps. L'extension du contrôle des qualifications241 ou le système de la cassation sans renvoi242, qui autorise exceptionnellement la Cour de
cassation à casser une décision des juges du fond sans renvoyer l'affaire devant
une autre juridiction, lui permettent d'empiéter sur le domaine de l'appréciation
souveraine des faits. Mais ce ne sont que des glissements occasionnels qui ne
remettent pas en cause la mise à l'écart des faits comme élément de l'« identité »243
de la Cour régulatrice.
183. Or, le contrôle de proportionnalité semble précisément bouleverser l'un
et l'autre versants de la fonction de juge du droit. La Cour de cassation est-elle,
d'une part, en train de devenir un ministre d'équité ? En donnant au juge la permission générale d'écarter une loi au motif que son application en l'espèce lui
paraît inopportune, le contrôle de proportionnalité consacre le triomphe de
l'« équité »244 et peut-être la « fin de l'État de droit »245. Le magistrat est « amené à
juger de la légitimité de l'arbitrage opéré par le législateur, et, le cas échéant, à
faire prévaloir son appréciation personnelle du conflit d'intérêts en présence »246.
Contre les textes, il décide de faire primer l'intérêt de la belle-fille sur ceux des
autres membres de la famille, l'intérêt de l'artiste sur celui du photographe...
Chaque fois, il réarbitre le conflit d'intérêts et impose sa propre conception de la
justice. Dans notre système juridique, cela pose inévitablement un problème de
légitimité politique. Sommes-nous prêts à « admettre que des juges se reconnaissent le pouvoir d'évincer l'arbitrage des élus du Peuple au profit de leur appréciation personnelle des intérêts en présence ? »247
La Cour de cassation est-elle, d'autre part, en train de se transformer en juge
du fait ? Loin des empiétements accidentels sur le domaine des juges du fond, le
contrôle de proportionnalité pose une question fondamentale, puisqu'il s'agit de
savoir si la Cour de cassation peut aller « jusqu'à écarter, pour des raisons factuelles, une disposition de la loi française qui lui paraît, dans le cas de l'espèce,
contraire à la Convention EDH ou à la jurisprudence de la Cour EDH »248. Les
faits, sont ainsi appelés à jouer un rôle essentiel dans le raisonnement des hauts
magistrats. Ce n'est plus la règle de droit qui est au centre de l'attention, mais sa
confrontation avec les faits de l'espèce, de sorte que les « faits ont désormais
vocation à s'intégrer à la majeure »249 du syllogisme. « C'est compte tenu de telle
ou telle règle et du particularisme des faits constatés par les juges du fond que leur
241. Ibid., et J. BORÉ, « L'avenir du contrôle normatif face aux fluctuations du contrôle des
qualifications », art. précit.
242. Prévu aux articles 627 du code de procédure civile et L. 411-3 du code de l'organisation
judiciaire. Sur la fréquence d'usage de ce procédé, tendant à transformer la Cour de cassation en
« troisième degré de juridiction », V.  F. LUXEMBOURG, « La Cour de cassation, juge du fond »,
D. 2006, p. 2358.
243. G. DI MARINO, « La Cour de cassation, juge du droit », art. précit.
244. L. NEYRET, chr. D. 2016, p. 1779. En exerçant un tel contrôle de proportionnalité, « la
Cour de cassation se reconnaît le droit de statuer, non seulement en droit, en application de la loi, mais
également en équité, au nom des droits » (F. CHÉNEDÉ, « Contre-révolution tranquille à la Cour de
cassation », art.  précit.). Rappr.  « Le contrôle de proportionnalité n'est-il pas une autre manière,
contemporaine, de nommer le jugement d'équité ? » (L. CADIET, « Introduction », art. précit.).
245. F. CHÉNEDÉ, « Contre-révolution tranquille à la Cour de cassation », art. précit.
246. Ibid.
247. Ibid.
248. P. JESTAZ, J.-P. Margénaud, C. JAMIN, « Révolution tranquille à la Cour de cassation »,
art. précit.
249. Ibid.
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