Bibliothèque de droit privé - Tome 580 - La concurrence entre les sûretés - 423

L'ÉVICTION DE LA CONCURRENCE ENTRE SÛRETÉS RÉELLES

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1. Limite révélant une différence de degré entre le gage et l'hypothèque
399. L'efficacité différenciée du droit de suite. Si l'opposition entre le gage et
l'hypothèque perd actuellement de sa force, un élément semble s'opposer à sa disparition : le droit de suite337. Alors que le créancier hypothécaire est muni d'un droit de
suite complet, le créancier gagiste sans dépossession n'est muni que d'un droit de
suite embryonnaire, compromettant ainsi sa liberté d'aliéner le bien sans le consentement du créancier338. À cet égard, le gage sans dépossession fait l'objet d'une infirmité dont l'hypothèque ne souffre pas, de sorte que la distinction conserve sa pertinence. Toutefois, cette différence de régime ne suffit pas à revivifier la distinction.
L'histoire des sûretés mobilières révèle une extension constante du droit de
suite du créancier gagiste. De tout temps, le droit de suite a constitué le talon
d'Achille des gages sans dépossession : les droits du créancier se brisent face à la
possession de bonne foi des tiers, de sorte que le législateur a entravé la liberté du
constituant d'aliéner le bien grevé339. Pourtant, et grâce à la fiction de la dépossession fictive, le législateur a investi le créancier titulaire d'un gage automobile d'un
droit de suite complet340. Mais le pas décisif a été effectué par l'ordonnance du
23 mars 2006 qui a reconnu un embryon de droit de suite au créancier gagiste sans
dépossession, indépendamment de toute dépossession fictive, en lui permettant
d'agir contre les ayants cause à titre particulier du constituant. L'acquéreur est,
par l'effet de la publicité, automatiquement considéré comme ayant eu connaissance de l'existence de la sûreté, il et est donc considéré comme de mauvaise foi341.
337. Rappr. M. Mignot, n° 1225 : évoquant la « force d'attraction de l'hypothèque », l'auteur
évoque le rapprochement entre le gage sans dépossession et l'hypothèque, considérant que l'une des
différences subsistantes tient à l'étendue du droit de suite, mais également à la réglementation
applicable, celle-ci étant beaucoup moins importante en matière mobilière qu'immobilière.
338. Cette entrave à la liberté d'aliénation est d'ailleurs envisagée par l'article 2342 du Code civil
relatif au gage sans dépossession de choses fongibles : « le constituant peut les aliéner si la convention
le prévoit à charge de les remplacer par la même quantité de choses équivalentes » ; rappr. Ch. Gijsbers,
thèse préc., n°  610 et s. : classant les sûretés en fonction de la protection du créancier contre
l'acquisition du bien grevé par un tiers et distinguant entre les sûretés hypothécaires et les sûretés nonhypothécaires au sein desquelles l'auteur distingue entre les sûretés non-hypothécaires avec
dépossession et les sûretés non-hypothécaires sans dépossession. Pour ces dernières, l'existence d'un
droit de suite hypthécaire est impossible et « la seule manière de protéger le créancier consiste alors à
faire interdiction au débiteur de transmettre la possession du bien grevé ou bien à le lui permettre mais en
l'obligeant en contrepartie à renouveler constamment la même quantité de choses équivalentes, afin que le
créancier puisse, à l'échéance, retrouver le bien grevé ou un bien équivalent ».
339. Pour le nantissement de l'outillage et du matériel V. M. Cabrillac, thèse préc., n° 126 : « le
régime de l'apparence dans lequel demeure le meuble engagé lui enlève (au créancier gagiste) toute action
contre le tiers acquéreur de bonne foi ; c'est pourquoi, (...), nous trouvons à la charge du débiteur
l'obligation de ne pas aliéner, du moins sans autorisation ». C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le
législateur a instauré un second système de publicité, facultatif : l'apposition d'une plaque sur les
biens grevés permet au créancier d'exercer son droit de suite envers les tiers.
340. En ce sens Cass. com., 12 déc. 1966, Bull. civ. III, n° 478 ; rappr. M. Cabrillac, thèse préc.,
n°  26 : « le créancier gagiste considéré fictivement comme le possesseur du véhicule dès l'inscription,
pourra toujours l'appréhender où qu'il le trouve. (...). De cette possession fictive, le créancier va tirer un
principe d'opposabilité à tout possesseur ou détenteur de la voiture » ; M.  Cabrillac, Ch. Mouly,
S. Cabrillac et Ph. Pétel, op. cit., n° 830 : « cette source insolite et baroque du droit de suite complet
explique que, si la majorité de la doctrine en reconnaît l'existence, certains la récusent en invoquant
notamment la primauté reconnue par la jurisprudence, en matière de droit de rétention, au détenteur
effectif, mais la référence n'est pas déterminante, car la qualité de détenteur est suffisante pour exercer un
droit de rétention. Le droit de suite dans sa plénitude est généralement admis par la jurisprudence ».
341. Le registre étant personnel, il ne pourra en revanche pas opposer ses droits aux sousacquéreurs lesquels ne sont pas en mesure de connaître l'existence des droits du créancier.
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