La République décentralisée Bertrand Faure Professeur à l'Université de Nantes Les références aux collectivités territoriales que les anciennes constitutions pouvaient introduire dans notre droit positif n'ont jamais totalement fait défaut. La Constitution du 27 octobre 1946 affirmait déjà le principe de libre administration de ces collectivités. Des textes antérieurs s'adressaient directement ou indirectement à elles en visant les « corps administratifs et municipaux » (Constitution de l'an I et de l'an III) et « l'administration intérieure » (Constitution de 1848). Il n'en reste pas moins que ces références demeuraient limitées, peu précises par elles-mêmes et d'expérience, inaptes à limiter la toute-puissance de la loi pour régir le statut des collectivités. La Constitution du 4 octobre 1958 aurait pu s'inscrire dans cette continuité si le Conseil constitutionnel n'avait pris sa place dans nos institutions. En confiant les dispositions constitutionnelles à la garde d'un juge chargé de les appliquer et de les interpréter, le développement du droit des collectivités territoriales a changé d'allure. Sans compter la révision du texte constitutionnel : modifié par la loi constitutionnelle de 28 mars 2003, son article 1er rajoute cette précision selon laquelle l'organisation de notre République est « décentralisée ». Alors dans quelle mesure en appliquant et développant le texte constitutionnel, le juge ne l'a pas conditionné ? Quelles ont été ses prises de position et leurs incidences sur la matière ? On devra bien constater que l'intégration des collectivités territoriales à l'État de droit par la soumission des lois de réforme à la règle constitutionnelle ne participe pas que d'une construction formelle du droit. Au contraire, cette constitutionnalisation suit un sens. L'interprétation des bases constitutionnelles convoquées par le juge n'est pas détachable du système politico-administratif de notre État unitaire décentralisé dont pouvait d'ailleurs déjà s'inspirer la jurisprudence administrative et que la jurisprudence constitutionnelle continue de faire vivre au niveau supérieur du contrôle des lois. C'est sans doute ce qui apparaîtra de nature à décevoir les espoirs de ceux qui auraient souhaité que le juge constitutionnel prête une main plus ferme à la défense des acquis de la décentralisation face aux politiques de modernisation de l'administration française. En essayant de ne pas porter d'appréciation trop sommaire ni trop définitive, trois propositions vont en ce sens rendant compte de la manière dont se manifeste la liberté d'appréciation du juge constitutionnel. À prendre connaissance de sa jurisprudence, on semble en effet assister à une mise en scène du principe de libre administration (I), à une mise en pièces du droit de l'outre-mer (II) et à une mise en ordre garantissant l'égalité et l'indivisibilité républicaines (III)