Droit et Économie - L'avenir de l'Union économique et monétaire : une perspective franco-allemande - 108

108 L'AVENIR DE L'UNION ÉCONOMIQUE ET MONÉTAIRE

répond aux exigences d'une société libre, pensée pour être humaine et
juste123. Si l'ordre juridique doit s'avérer compatible avec l'ordre économique, il a donc une existence et une signification autonomes, avec lesquelles il n'est pas possible de transiger.
Or il nous semble qu'il y a entre cette conception ordolibérale du droit et la
philosophie même du projet de construction d'une Europe « par le
droit »124 une antinomie irréductible.
L'évolutivité de la règle constitutionnelle permise par la Cour de justice. La
contradiction est manifeste lorsque l'on examine de près le contentieux Pringle et Gauweiler qui a amené la Cour de justice à valider les mesures prises
par les institutions européennes. La Cour s'est livrée à une interprétation des
règles de l'union monétaire qui tranche avec la logique économique qui
avait pu commander leur consécration dans le traité de Maastricht. On a
montré que les règles de la constitution monétaire répondaient à une
logique de marché : la clause de non-renflouement (article 125 TFUE) et
l'interdiction de la monétisation des dettes publiques doivent permettre
aux marchés financiers de proposer des taux d'intérêt qui reflètent la réalité
économique et financière de chaque État, pour inciter in fine ces derniers à
mener des politiques budgétaires responsables pour pouvoir bénéficier de
taux d'intérêt favorables. Dans l'arrêt Pringle, la Cour doit juger si la création
du MES est conforme à l'article 125 TFUE. La Cour, recourant à cet effet aux
travaux préparatoires, reconnaît parfaitement la « logique du marché » qui
sous-tend cette règle instituée par le traité de Maastricht125. Mais la Cour va
enrichir la signification de cette norme en se référant à son « objectif supérieur, à savoir le maintien de la stabilité financière de l'Union monétaire »126.
Si la Cour admet que c'est bien par le marché que les États doivent être incités à maintenir une discipline budgétaire, l'interprétation finalisée de l'article 125 TFUE lui permet de valider le changement d'approche opéré par le
MES. En insistant sur l'objectif supérieur qu'est la stabilité financière de
l'Union monétaire, l'octroi d'une assistance financière devient possible
123. MESTMÄCKER E.-J., « Rechtliche und ökonomische Grundlagen marktwirtschaftlicher Ordnungen », in VANBERG V. (dir.), Evolution und freiheitlicher Wettbewerb, Mohr Siebeck, 2009, p. 1-18,
spéc. p. 11. MESTMÄCKER se réfère aux théories de SMITH et de HUME.
124. BAILLEUX J., Penser l'Europe par le droit, L'invention du droit communautaire en France, Dalloz, Nouvelle bibliothèque de thèses, science politique, 2014 ; VAUCHEZ A., L'Union par le droit, L'invention d'un programme institutionnel pour l'Europe, Paris, Presses de Sciences po, 2013.
125. CJUE, 27 nov. 2012, aff. C-370/12, Pringle c/Government of Ireland, Rec. p. 756, cons. 135 : « il
ressort des travaux d'élaboration de ce dernier traité que l'article 125 TFUE vise à assurer
que les États membres respectent une politique budgétaire saine (...). En effet, l'interdiction
énoncée à l'article 125 TFUE garantit que les États membres restent soumis à la logique du
marché lorsqu'ils contractent des dettes, celles-ci devant les inciter à maintenir une discipline
budgétaire. »
126. Ibid.

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