Droit et Économie - L'avenir de l'Union économique et monétaire : une perspective franco-allemande - 37

LA NOTION DE « CONSTITUTION ÉCONOMIQUE » 37

1. Une impulsion nourrie par le dialogue étroit entre la doctrine et la justice
constitutionnelles
Ainsi qu'on pourra le constater plus loin, il n'est pas certain que la « relative
indifférence que la constitution économique [a longtemps] suscit[ée] chez
les auteurs français »33 tienne aux dispositions constitutionnelles ellesmêmes. En Allemagne, l'importance de la vie économique dans les approches
constitutionnelles résulte davantage d'une « coproduction de la jurisprudence
[de la Cour constitutionnelle fédérale] et de la doctrine »34. La première
contribue à ériger toutes les branches du droit, y compris économique, en
« droit constitutionnel concrétisé »35, tandis que la seconde s'avère particulièrement prompte à développer une « dogmatique » approfondie de toute
question constitutionnelle36.
L'interaction de ces deux acteurs a notamment trouvé à s'illustrer dans une
importante « querelle », initiée dans les années 1950 autour de l'éventuel
« choix » de la Loi fondamentale en faveur d'un système économique
déterminé37. Répondant à la thèse de la neutralité de la Loi fondamentale
défendue par le publiciste Herbert Krüger en 195138 , le juriste ordolibéral
Hans Carl Nipperdey, grand spécialiste de droit du travail (professeur à
Cologne et président de la nouvelle Cour fédérale du travail - Bundesarbeitsgericht) oppose en 195439 sa théorie de l'ancrage de l'économie sociale de

33. MONGOUACHON C., « Les débats sur la Constitution économique en Allemagne », RFDC 2012/2
(nº 90), p. 303-337, spéc. p. 306.
34. FISCHER C., PAULY W., Höchstrichterliche Rechtsprechung in der frühen Bundesrepublik, Tübingen,
Mohr, 2015, p. 22.
35. L'origine de cette expression désormais célèbre tient à la qualification du droit administratif
par Fritz Werner, troisième président de la Cour fédérale administrative (1958-1969).
WERNER F., « Verwaltungsrecht als konkretisiertes Verfassungsrecht », DVBl., 1959, p. 527 et s.
Cette formule est généralement opposée aux mots d'Otto Mayer selon lequel « le droit constitutionnel passe, le droit administratif demeure » (MAYER O., Deutsches Verwaltungsrecht, t. 1,
3e éd., München, Duncker & Humblot, 1924, Préface).
36. JESTAEDT M., « Deutsche Rechtswissenschaft im Kontext von Europäisierung und Internationalisierung », JZ 1/2012, p. 1-10. V. aussi, pour une application à la thématique qui nous occupe
ici : PAPIER H. J., « Wirtschaftsordnung und Grundgesetz », APuZ (Aus Politik und Zeitgeschichte),
13/2007, p. 3-9.
37. HUBER E. R., « Der Streit um die Wirtschaftsverfassung » (I), DÖV 1956, p. 97 et s. Pour de
belles perspectives d'ensemble, en langue française : RABAULT H., « La constitution économique de la France », op. cit. ; MONGOUACHON C., « Les débats sur la Constitution économique
en Allemagne », op. cit. ; CHÉROT Y., « Constitution et économie », in TROPER M.,
CHAGNOLLAUD D. (dir.), Traité international de droit constitutionnel, t. 1, Théorie de la Constitution,
Paris, Dalloz, 2012 ; DUSSART M.-L., Constitution et économie, Paris, Economica, 2015.
38. KRÜGER H., « Staatsverfassung und Wirtschaftsverfassung », DVBl. 1951, p. 361 et s.
39. NIPPERDEY H. C., « Die Grundprinzipien des Wirtschaftsverfassungsrechts », DRZ, 1950, p. 193 ;
le même, Die soziale Marktwirtschaft in der Verfassung der Bundesrepublik Deutschland, Karlsruhe,
Müller, 1954.
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