Droit et Économie - L'avenir de l'Union économique et monétaire : une perspective franco-allemande - 97

LA CONSTITUTION MONÉTAIRE DE L'UNION EN DÉBAT 97

rapport. C'est dès le début des années 1980, alors qu'il est directeur général
à la direction générale pour les affaires économiques et financières, que
Padoa-Schioppa s'intéresse à la trinité incompatible pour l'appliquer au
cas de la CEE. Le triangle devient un « carré d'incompatibilité », car il
ajoute un quatrième élément, le libre-échange, un pilier essentiel du traité
de Rome qui ne pouvait pourtant pas être considéré comme acquis à cette
époque-là89. Ce carré d'incompatibilité est devenu très populaire dans la
seconde partie des années 1980, au moment où les taux de change devinrent stables au sein du système monétaire européen et que la CEE s'engageait dans le projet d'Acte unique européen90. Il était facile de montrer en
quoi la libre circulation des capitaux risquait de saper les fondements du
système monétaire européen. Réciproquement, la libéralisation des capitaux se révélait incompatible avec l'existence de taux de change stables et
de l'autonomie de la politique monétaire91. C'est cette argumentation qui
sera reprise dans le rapport Delors, qui présente la monnaie unique comme
la suite logique du marché unique. Dans cette perspective, l'UEM devient
même un levier pour retrouver au niveau européen la souveraineté monétaire perdue à l'échelon national. La mise en place d'une union économique et monétaire permettrait d'assurer la fonction de stabilisation
macroéconomique, à laquelle il conviendrait d'adjoindre deux autres fonctions d'allocation des ressources et de redistribution, conformément aux
critères de Musgrave.
La théorie des chocs économiques, réinterprétée par la Commission européenne à la faveur de l'UEM. Au début des années 1990, la Commission européenne s'appuie sur une justification économique identique pour légitimer
son engagement en faveur de la réalisation de l'UEM92. Au sein de la direction
générale des affaires économiques et financières, dirigée par Michael
Emerson, est élaboré, « sur la base d'arguments strictement économiques »93,
89. PADOA-SCHIOPPA T., « Capital Mobility : Why is the Treaty Not Implemented ? » (conférence
tenue en juin 1982 à Milan), publiée in PADOA-SCHIOPPA T. (dir.), The Road to Monetary
Union in Europe, 1994, Oxford : Clarendon Press.
90. MAES I., « Tommaso Padoa-Schioppa and the origins of the euro », NNB Working Paper nº 222,
mars 2012, p. 17.
91. Efficiency, Stability and Equity : A Strategy for the Evolution of the Economic System of the
European Community, rapport d'un groupe d'étude nommé par la Commission des Communautés européennes et présidé par T. PADOA-SCHIOPPA, avr. 1987.
92. Pour une analyse précise de la stratégie de la Commission européenne et en particulier du
lien établi entre libre circulation des capitaux et UEM, voir JABKO N., L'Europe par le marché,
Histoire d'une stratégie improbable, Presses de Sciences Po, 2009.
93. TAUGOURDEAU E. et VINCENSINI C., « La justification économique de l'Union économique et
monétaire : ex ante, ex post ou inexistante ? », préc., p. 62. Pour Francesco MARTUCCI, « l'essence
économique des dispositions du traité relatives à l'UEM » se déduit des références à la théorie
économique mobilisées dans le rapport Emerson : MARTUCCI F., « Théorie économique et

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