Droit et Économie - L'avenir de l'Union économique et monétaire : une perspective franco-allemande - 99

LA CONSTITUTION MONÉTAIRE DE L'UNION EN DÉBAT 99

progresser progressivement la logique fédérale, s'appuyer sur les échecs économiques rencontrés pour exiger un renforcement des compétences européennes, telle est bien la démarche qui est à l'œuvre lorsqu'il s'agit pour la
Commission européenne de justifier la création de l'UEM. Cette démarche,
qui constitue aujourd'hui encore selon Matthias Ruffert l'un des trois principaux modèles théoriques de la constitution économique, financière et monétaire de l'Union97, est connue sous le nom de fonctionnalisme98 pour avoir
inspiré les pères fondateurs. Pour Edwin Le Heron, cette méthode aurait
permis de créer le consensus politique à l'origine de l'euro et de la BCE99.
Elle aurait permis aux européistes, dont les élites françaises - à commencer
par Delors - étaient assez proches, et aux tenants d'une approche plus ordolibérale, de se retrouver, alors même que leurs conceptions des finalités de la
monnaie unique divergeaient radicalement.
La monnaie comme moyen de réaliser l'Union économique et politique.
Pour les européistes, il était clair que l'adoption d'une monnaie unique
comme moyen de parachever le marché intérieur et de parer aux difficultés
du système monétaire européen devait être suivie d'un gouvernement économique ayant une souveraineté sur les budgets européens. Dans les
milieux français, l'unification monétaire exercerait un rôle moteur sur la
convergence des économies. C'est dans cette perspective qu'ils acceptent
le choix d'une union monétaire fondée sur l'idée de neutralité de la monnaie et une certaine logique d'orthodoxie budgétaire, alors que cette
conception ordolibérale de la monnaie était peu en phase tant avec leurs
propres conceptions qu'avec les idées macroéconomiques de l'époque.
Delors et Mitterrand voyaient dans l'union monétaire une avancée vers le
fédéralisme par l'introduction de la BCE, première institution fédérale,
censée tracer progressivement la voie vers un gouvernement économique,
un point de vue également partagé par l'économiste Aglietta100.
97. RUFFERT M., « Mehr Europa - eine rechtswissenschaftliche Perspektive », Zeitschrift für Gesetzgebung, 2013, p. 1 et s.
98. MITRANY D., A Working Peace System : An Argument for the Functional Development of International
Organization, Londres, The Royal Institute of International Affairs, Oxford University Press,
1943.
99. LE HERON E., « L'euro, une monnaie incomplète : retour sur les ambiguïtés du compromis
historique, politique et idéologique lors de la création de la BCE », Économie et institutions
22/2015 : https://ei.revues.org/1024 (dernière consultation le 8 septembre 2017).
100. En 1992, Aglietta et de Boissieu écrivaient que « la monnaie est indissolublement liée à la
cohérence d'un ordre politique et social. Pour faire avancer l'Europe monétaire, il faut
bâtir patiemment une communauté de points de vue sur ce qu'on veut faire ensemble. La
monnaie européenne est d'abord un devoir être. On ne peut progresser que par compromis
successifs dont on doit s'assurer de la stabilité à chaque étape » (AGLIETTA M. et DE BOISSIEU C.,
« L'émergence de la monnaie européenne », Genèses 7, juin, 1992, p. 4-24), cité par LE
HERON E., p. 11.

https://ei.revues.org/1024

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