Hors collection - Les enjeux de la déjudiciarisation - 86

RôLe et INtÉRêt De La DÉJuDICIaRISatIoN

contentieux231. Si le droit civil inspire incontestablement la déjudiciarisation, la transposition pure et simple des concepts civilistes ne saurait avoir
lieu sans nier l'essence du droit pénal, à tout le moins au sens classique.
La position éminemment auguste du ministère public en atteste. Son rôle
et ses missions décrivent un rapport de force déséquilibré avec le mis en
cause. Le droit pénal demeure rétif à une véritable contractualisation de
son contentieux quand bien même le consentement y joue un rôle de plus
en plus marqué. Le pied d'égalité sur lequel se joue la partition civiliste ne
saurait être retrouvé en droit pénal. L'acceptation par un mis en cause de
la déjudiciarisation proposée par un parquetier n'est pas à même d'occulter
la réalité d'un déséquilibre difficilement compensable.
124. La déjudiciarisation en matière pénale est de la sorte traversée
par plusieurs courants qui en font un symbole à la fois d'efficacité et de
privatisation du contentieux. Même si les vertus liées à l'apaisement, au
désengorgement et à une réelle contractualisation de la procédure doivent
être nuancées, les réformes successives témoignent d'un mouvement puissant en faveur d'une résolution des litiges en dehors de l'arène judiciaire
classique. Bien que cette lame de fond soit plus ou moins assumée par le
législateur, la déjudiciarisation semble constituer le remède au mal qui mine
substantiellement la justice pénale : une massification du contentieux dont
le traitement s'apparente au mythe de Sisyphe.
Si la déjudiciarisation était à même de résoudre les maux d'un système
en crise, ses différentes manifestations auraient cependant dû au cours des
dernières années permettre de constater des signes d'amélioration voire
de guérison. Peut-être est-il opportun de se demander si accroître un
phénomène qui ne produit pas de résultat est à même de générer les effets
escomptés.

II - LA DÉJUDICIARISATION PÉNALE, UN SYMPTÔME
125. Le recours à la déjudiciarisation est un phénomène observable
depuis les années 1990 en France. La multiplication des outils poursuivant
cet objectif est telle qu'il est sans doute pertinent d'interroger sa logique
même afin d'en cerner les limites. La recherche d'un remède miracle à un
système en crise conduit souvent à préférer ombres et illusions ; or cette
231. V. xavier Pin, « La privatisation du procès pénal », RSC 2002, p. 245. Pour cet auteur,
la justice pénale « n'est plus l'occasion de rétablir le lien entre l'individu et la collectivité, au
moyen d'une salutaire sanction étatique, mais le théâtre des passions individuelles s'exprimant tous azimuts, avec le renfort de droits subjectifs également répartis entre la personne
poursuivie et ses accusateurs privés ».

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