Hors collection - Les transformations de la preuve pénale - 42

LeS TRANSfoRMATIoNS De LA PReuVe PÉNALe

A. L'épreuve de la restitution historique
Rencontre des vérités historique et judiciaire. - Les procès relatifs
aux crimes de masse ont toujours bousculé les frontières, la preuve de
la responsabilité pénale ne pouvant totalement s'extraire de la narration
d'un contexte socio-politique appartenant également à l'histoire. outre
que cette catégorie de crimes transcende nécessairement les personnes en
cause, la reconstruction historique est indispensable à leur appréhension,
ne serait-ce que parce qu'elle permet d'établir l'élément contextuel nécessaire à la qualification pénale10 : ainsi le caractère général et systématique
des violences, l'existence d'un programme génocidaire ou la nature et la
dimension du conflit armé doivent être établis pour emporter les qualifications de crime contre l'humanité, de génocide ou de crime de guerre11.
L'importance historiographique est d'ailleurs attestée par la présence, dans
ces procès, des spécialistes de la matière venant fournir au juge le contexte
dont il a besoin12.
Distance des prismes historique et judiciaire. - Si elle est inévitablement tournée vers les processus historiques, la preuve ne peut cependant
être gouvernée que par la procédure et les catégories juridiques applicables,
autrement dit, par un prisme juridique plus restreint que celui de la perspective historique. La preuve pénale ne saurait donc remplir un office - la
narration historique - qui la dépasse très largement, encore que l'attente
sociale puisse parfois être celle-là. outre que la tâche est techniquement
impossible, elle n'est pas non plus souhaitable, si du moins elle conduit à
perdre de vue la mise en accusation. Le jugement d'eichmann le rappelait
sans ambages. Il soulignait, à titre liminaire, que le tribunal ne pouvait se
prononcer sur l'ensemble des questions « sur la toile de fond » de laquelle
s'est déroulé « le massacre du peuple juif », aussi compréhensible que puisse
paraître cette préoccupation13 ; et il ajoutait la nécessité de s'en tenir à ce qui
concernait la vérification des chefs d'accusation présentés contre Adolph
eichmann ainsi que la détermination de sa peine14.
Distorsions historiques. - Ce filtre, naturellement, peut être source de
frustrations, voire de distorsions, la vérité historique paraissant amputée
voire contredite par les débats judiciaires. elle est amputée lorsque la
recherche des preuves est orientée par la sélection des personnes ou des
10. Op. cit., loc. cit., p. 194-195.
11. Relativement à ces qualifications en droit pénal international, v. art. 6 à 8 SdR (Statut
de Rome).
12. Sur la différence entre l'historien qui fournit un contexte et le magistrat qui juge,
Y. Thomas, préc., p. 33.
13. Tribunal régional de Jérusalem, Dossier pénal 40/61, p. 1.
14. Op. cit., loc. cit.

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