Hors collection - Finances publiques et souveraineté des États - 89

LAURE-ALICE BOUVIER

règles actuelles en matière de fiscalité des entreprises ne sont plus adaptées
au contexte moderne » et en mettant ainsi implicitement en évidence le
caractère tardif de la prise de conscience du phénomène.
1°). Pour bien appréhender ce dernier, il convient tout d'abord de noter
que le nouveau contexte économique génère des conséquences sans précédent qui affectent le territoire de la fiscalité2. J'en relèverai trois :
1. Les entreprises les plus importantes, mais aussi des entreprises
moyennes, voire même des particuliers n'ont plus de frontières 3,
ni matérielles, ni virtuelles. Les activités s'organisent de manière
horizontale au sein de l'espace international au-delà de toute attache
nationale et ce d'autant plus aisément que la richesse est produite sur
la base d'un capital immatériel qui se substitue rapidement et à grande
échelle au capital matériel.
2. La valeur économique prend dans ce cadre un autre sens en étant déterminée par des échanges de données qui concernent progressivement la
quasi-totalité des individus et des entreprises4. Cette situation conduit
à s'interroger sur la pertinence des principes et dispositifs fiscaux et
tout particulièrement, on va y revenir, sur la territorialité de l'impôt.
3. Par ailleurs, le développement sans précédent et à très grande allure
de l'intelligence artificielle5 qui est au cœur de ces mutations est à la
source d'une dynamique du changement qui ne permet plus d'envisager qu'un modèle économique ou social soit stable sur le long terme
voire même le moyen terme.
2°) Dans ce contexte, la souveraineté fiscale est confrontée à un enjeu
d'une ampleur considérable.
Après avoir dû faire face à un phénomène de déterritorialisation/reterritorialisation avec les délocalisations/relocalisation d'entreprises6, elle est
maintenant aux prises avec un nouveau défi qui peut d'ailleurs se combiner
avec le précédent. Il s'agit cette fois d'une a-territorialisation, d'une disparition du territoire, qui se caractérise par une circulation de la matière
imposable et des localisations très éphémères favorisées par les technologies

2. Les montants d'impôt sur les sociétés acquittées en France par les grandes entreprises
du numérique en attestent : Google : 6,70 M€ (2015), Facebook : 1,16 M€ (2016), AirBnb :
92 984 € (2016).
3. Cf. A. L. Amilhat Szary, Qu'est-ce qu'une frontière aujourd'hui ?, PUF, 2015.
4. Cf. N. Colin, H. Verdier, L'âge de la multitude, Armand Colin, 2015.
5. Cf. D. Cardon, À quoi rêvent les algorithmes ?, Seuil, 2015.
6. Sur ce sujet cf. W. Andreff, « La déterritorialisation des multi-nationales : firmes
globales et firmes réseaux », Revue cultures et conflits, n° 21-22, 1996.

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