Hors collection - Contrats de droit privé et contrats de droit administratif - 83

STÉPHANE DE LA ROSA, DIMITRI HOUTCIEFF, DENIS MAZEAUD 75

l'engagement - est en outre largement réincarnée dans le nouvel article 1169
du Code civil, qui prévoit comme on sait qu'un « contrat à titre onéreux est
nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit
de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire ». Au-delà de la préservation
de cette fonction de la cause, l'évocation de la « contrepartie convenue »
est symptomatique : c'est en effet ainsi que la doctrine la plus autorisée
définissait la cause de l'obligation dès avant la réforme48. Sans doute la
contrepartie convenue n'a-t-elle pas la généralité de la cause de l'obligation,
qui s'imposait quelle que soit la qualification de la convention et non pas
seulement en cas d'onérosité. La cause objective était cependant plus utile
à la qualification des contrats à titre gratuit qu'à l'appréciation de l'existence
de l'obligation. L'analyse n'est donc pas bouleversée : tandis qu'hier la
doctrine tentait de rattacher ces conventions à une cause un brin artificielle
et extraite de l'idée de contrepartie, le Code civil caractérise désormais les
contrats à titre gratuit par ceci qu'ils n'ont pas de « contrepartie convenue ».

2. L'analyse de la cause au-delà de la cause ?
Quid de la tentation de l'appréhension de l'économie du contrat,
à laquelle la cause avait parfois permis de succomber ? L'analyse subjective de la contrepartie convenue pourrait-elle paradoxalement survivre à la
disparition de la cause ? L'article 1168 du Code civil ne paraît pas y inviter,
qui dispose que « dans les contrats synallagmatiques, le défaut d'équivalence
des prestations n'est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la
loi n'en dispose autrement ». Cette affirmation précédant l'évocation de la
contrepartie convenue, elle n'invite pas à en faire une appréciation extensive
et subjective. On observera cependant que la prohibition de la lésion ne
date pas d'hier, et qu'elle n'a pas suffi à empêcher la « subjectivation de la
cause objective ». Surtout, la formulation de l'article 1169 - qui évoque la
contrepartie « dérisoire » - peut conduire à deux interprétations opposées :
restrictive, elle permet d'en revenir à une appréciation étroite du but immédiat ; extensive, elle peut cependant encourager à contempler l'économie
du contrat afin de vérifier jusqu'à quel point le contractant s'est bercé
d'illusions49. S'il est difficile de savoir comment ce dilemme sera tranché,
48. J. Ghestin, Cause de l'engagement et validité du contrat, LGDJ, 2006, nos 148 et s.
49. Certaines juridictions du fond semblent tentées par une interprétation extensive de
l'article 1169 du Code civil. Voy. par ex. TGI Paris, 4-1, 27 juin 2017, n° 17/07192 : selon
cette décision, le prix de 790 € pour cinq personnes au mois d'août en Corse, pour un
bungalow les pieds dans l'eau, et demi-pension pour 14 jours est bien un prix dérisoire.
Comp. T. com. Paris, 19e ch., 4 oct. 2017, n° 2017025630. Selon cette décision, plus restrictive, la contrepartie convenue d'un contrat de prestation de service conclu par un franchisé
n'est ni illusoire ni dérisoire dès lors que les prestations qu'il prévoit ne sont pas redondantes
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