Bibliothèque de droit privé - Tome 590 - La religion du contractant - 142

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LA RELIGION DU CONTRACTANT

l'existence de la justice4, et justifie la reconnaissance d'une personnalité propre à
chaque individu. Chaque être doit pouvoir exister « par soi et pour soi, (...) de façon
autonome5 », mais également coexister avec l'ensemble des individus qui forment la
société dans le respect des règles de droit.
200. L'altérité est de l'essence de l'obligation. Définie, depuis l'époque
romaine, comme un lien de droit, l'obligation présuppose également l'altérité6 ou,
autrement dit, l'existence de deux personnes juridiques distinctes. « Dès que deux
êtres se rencontrent, qu'ils reconnaissent leur différence - autrement dit qu'ils ne se
laissent pas indifférents - naît un lien ; un lien qui peut être un lien de fait tel que le
lien d'amitié mais qui peut aussi prendre la forme d'un lien de droit tel qu'un lien
contractuel7 ». Cette approche du lien obligationnel est perceptible au travers de
multiples dispositions du Code civil. L'ancien article 1382 du Code civil, repris tel
quel par l'ordonnance du 10 février 20168, disposait que « tout fait quelconque de
l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé
à le réparer ». Les quasi-contrats étaient quant à eux, selon l'ancien article 1371,
des « faits purement volontaires de l'homme, dont il résulte un engagement quelconque envers un tiers, et quelquefois un engagement réciproque des deux parties ».
Ils sont désormais « des faits purement volontaires dont il résulte un engagement de
celui qui en profite sans y avoir droit, et parfois un engagement de leur auteur envers
autrui9 ». Le contrat, surtout, était défini à l'ancien article  1101 du Code civil
comme la « convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une
ou plusieurs autres, à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ». Il est, aux
termes du nouvel article 1101, un « accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ».
201. Divers degrés d'altérité. L'existence d'autrui est donc un préalable indispensable à la naissance de l'obligation. L'exigence d'altérité est cependant difficile
à cerner car il peut exister, entre l'hypothèse du soi et celle de l'altérité parfaite, des
situations intermédiaires10. Comme l'indique le professeur Sériaux, l'altérité diminue notamment dès lors que des individus sont liés par leur passé ou leur sang11.
En outre, il en va ainsi lorsque plusieurs personnes sont réunies au sein d'une
communauté religieuse.
Rien ne s'oppose à ce qu'une telle confiance existe, en particulier, entre les
croyants et leur chef spirituel12. Celle-ci est au cœur même de leur relation, et sa
4. A. Abécassis, « Droit et religion dans la société hébraïque », in Droit et religion,
Arch. phil. droit, Sirey, 1993, T. 38, p. 23 : « Tout droit et toute religion se fondent sur la responsabilité
à l'égard de cette altérité radicale de chacun que nous devons aimer parce qu'il est image d'infini et
capable d'interprétation responsable ». P. Deumier, Introduction générale au droit, op. cit., p. 46, n° 43 :
« Il est en effet classique de dire que Robinson seul sur son île n'avait pas besoin de droit ». A. Sériaux,
Le droit. Une introduction, op. cit., p. 17, n° 22. P. Stoffel-Munck, L'abus dans le contrat. Essai d'une
théorie, préf. R. Bout, LGDJ, coll. Bibl. dr. privé, T. 337, 2000, p. 210, n° 241.
5. A. Sériaux, Le droit. Une introduction, op. cit., p. 17, n° 22.
6. E. Jeuland, « L'énigme du lien de droit », RTD civ. 2003, p. 455.
7. Ibid.
8. C. civ., art. 1240 nouv.
9. C. civ., art. 1300 nouv.
10. D. Martel, Le rapport d'obligation dans une communauté de personnes, op. cit., p. 8, n° 8.
V.  également L. Aynès, « L'obligation de loyauté », art.  préc.  E.  Jeuland, « L'énigme du lien de
droit », art. préc. : « Entre deux sujets, la reconnaissance des différences se mêle sans doute à l'existence
de ressemblances ».
11. A. Sériaux, Le droit. Une introduction, op. cit., p. 19, n° 25.
12. D. Martel, Le rapport d'obligation dans une communauté de personnes, op. cit., p. 112, n° 168.
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