Bibliothèque de droit social - Tome 76 - L'évaluation professionnelle des salariés - 123

LA NÉCESSITÉ DE JUSTIFIER

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elle n'est par conséquent opérante qu'entre personnes partageant ces conventions. La
notion d'objectivité peut renvoyer à une référence commune dépassant les conventions établies au sein de l'entreprise. Largement inspirées des logiques gestionnaires
fondées sur l'utilité à l'égard des intérêts de l'entreprise, ces conventions ne sont pas
nécessairement partagées à l'extérieur de l'entreprise. Aussi, l'objectivité résultant de
la simple présence d'une échelle de valeur partagée par tous, au sens où chacun est
évalué dans les mêmes conditions, n'implique pas pour autant une objectivité au sens
où elle est retenue par le juge lorsqu'il exerce un contrôle de justification. La grammaire de l'objectivité développée par le juge renvoie davantage à une objectivité
empreinte de justice et de justesse203.
Cette forme d'objectivité, nous l'avons vu, n'est pas une qualité intrinsèque
du jugement de valeur204. La mise en cause de l'évaluation comme mode d'argumentation est alors permise. En d'autres termes, l'évaluation ne peut constituer
un écran au-delà duquel le juge ne pourrait regarder. Elle ne remplit donc cette
dernière condition d'objectivité que sous réserve de l'objectivité du procédé sur
lequel elle repose205. L'entretien d'évaluation doit ainsi porter sur les qualités professionnelles du salarié mais également répondre aux exigences d'objectivité et
d'imputabilité des résultats de l'évaluation. À l'occasion d'un contentieux relatif
à l'égalité de traitement, les juges de la Cour de cassation ont ainsi établi que « les
résultats d'une [...] évaluation peuvent constituer une justification objective des
décisions de l'employeur dès lors qu'elle est fondée sur des motifs objectifs étrangers à toute discrimination prohibée »206. Se dessine ainsi un régime de l'évaluation susceptible d'être invoquée à titre justificatif. De l'exigence de justification est
née l'hégémonie de l'appréciation par l'entretien d'évaluation, lui-même guidé par
une exigence d'objectivité et d'imputation.
174. L'incursion d'un emploi de l'évaluation dans son régime n'est aucunement
neutre. En effet, dès lors que la valeur n'est pas un donné mais une construction207,
l'évaluation se construit au regard de son emploi. Il s'ensuit que l'évaluation, pour
être construite de façon pertinente, doit être pensée en fonction de sa (ses) finalité(s)208.
203. Cf. infra n° 363.
204. Cf. supra n° 74.
205. Encore convient-il de remarquer que l'objectivité ne devrait pas être absolue mais relative à
une fin donnée. Les critères d'évaluation devraient être en rapport avec la décision prise, que celle-ci soit
prédéterminée ou non. Pourtant la question de la finalité, centrale en matière d'évaluation de façon
générale, semble ici peu pertinente. Qu'il s'agisse d'avancer un critère objectif justifiant une différence de
traitement ou de montrer l'existence d'une insuffisance professionnelle, l'évaluation porte sur les qualités
professionnelles des salariés. Il paraît donc que si l'objectivité d'une évaluation n'est pas contestée pour
fonder une différence de traitement, elle devrait également présenter l'objectivité nécessaire à justifier un
licenciement pour insuffisance professionnelle, une promotion ou une rétrogradation. Cette position
tranche avec la posture généralement adoptée en matière d'évaluation (à l'exclusion de l'évaluation des
travailleurs). Selon la position dominante, l'évaluation doit être construite en fonction de sa finalité
(selon l'auteur B. Beret, « les questions posées, le choix des méthodes et des informations à collecter, et
finalement, le type d'arguments à développer dans le rapport d'évaluation, dépendront pour partie des
buts organisationnels et politiques poursuivis par le commanditaire et de la nature des bénéfices
escomptés de l'évaluation », Conseil scientifique de l'évaluation, L'évaluation en développement 1995 :
rapport annuel sur l'évolution des politiques publiques, La Documentation française, 1996). C'est en effet
le contexte décisionnel qui permet de donner une consistance à la notion de valeur, et donc à l'évaluation.
206. Cass. soc. 5 nov. 2009, n° 08-43112, 08-43242 et 08-43304, inédit ; Cass. soc. 16 oct. 2013,
n° 12-18.229, Inédit.
207. Cf. supra n° 63.
208. Sur la justesse des critères d'évaluation cf. infra n° 366 et s. Sur la pertinence des méthodes
et techniques d'évaluation, cf. infra n° 516 et s.

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