Cours - Droit pénal des affaires - 3e - 366

DROIT PÉNAL DES AFFAIRES
la procédure dérogatoire ne devait être mise en œuvre que si l'infraction « présente des éléments
de gravité suffisants pour justifier les mesures dérogatoires [...] ; dans le cas contraire, ces
procédures spéciales imposeraient une rigueur non nécessaire au sens de l'article 9 de la
Déclaration de 1789 »22
. Le Conseil constitutionnel formulait ici une réserve d'interprétation, en ajou.
Par cette réserve, le Conseil posait les premiers jalons d'un équilibre devant être
.L'article 706-1-1, qui devait
tant « qu'il appartiendra à l'autorité judiciaire d'apprécier l'existencedetels éléments de
gravité »23
respecté par le législateur.
Ces jalons seront confirmés et surtout précisés le 4 décembre 201324
permettre d'appliquer à certaines infractions économiques les mesures dérogatoires prévues pour
la criminalité organisée, visait des délits qui n'étaient « pas susceptibles de porter atteinte en euxmêmes
à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes ». Dès lors, selon le Conseil « en
permettant de recourir à la garde à vue selon les modalités fixées par l'article 706-88 du Code
de procédure pénale au cours des enquêtes ou des instructions portant sur ces délits, le législateur
a permis qu'il soit porté à la liberté individuelle et aux droits de la défense une atteinte
qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi »25
.
La gardeà vuedérogatoire d'une durée de quatre-vingt-seize heures ne peut donc être mise en
œuvre que lorsque l'infraction porte atteinte « à lasécurité, à ladignité ou àlavie des
personnes ». Le critère est connu depuis longtemps et la question se posait alors de la possibilité
de recourir à une garde à vue d'unetelle duréepour des faitsd'escroquerie en bande organisée,
faits alors visés par l'article 706-73, 8º bis26
, et à laquelle répond le Conseil constitutionnel le
9 octobre 2014. L'inconstitutionnalité était évidente : une garde à vue d'une durée de quatre jours
avait en effet été mise en œuvre pour des faits d'escroquerie en bande organisée, faits insusceptibles
de porter atteinte à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes. Les dispositions sont
logiquement abrogées, mais avec effet différé.
L'inconstitutionnalité a depuis été corrigée, en deux temps : la loi du 27mai 2014 était venue ajouter
un dernier alinéa à l'article 706-88, pour prévoir que « le présent article n'est pas applicable au
délit prévu au 8º bis de l'article 706-73 ou, lorsqu'elles concernent ce délit, aux infractions
mentionnées aux 14º à 16º du même article »27
autant résolues, comme en témoigne d'ailleurs la décision du Conseil du 11 décembre 201528
. Mais toutes les difficultés n'étaient pas pour
,concernant
les faits de blanchiment et de recel d'escroquerie en bande organisée. La loi du 17 août 2015
était toutefois déjà intervenue pour remédier à cela, en introduisant un nouvel article 706-73-1,
lequel prévoit une nouvelle liste d'infractions, dont l'escroquerie en bande organisée, pour lesquelles
22. Idem, consid. nº 17.
23. Ibid.
24. Cons. const., 4 déc. 2013, nº 2013-679 DC, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière,
consid. nº 77.
25. Ibid.
26. L'historique de cette disposition est révélateur des hésitations du législateurs quant à la possibilité de prévoir une garde à vue de quatre
jours pour les faits visés par l'article 313-2 du Code pénal. Inséré dans la liste par l'une des lois du 5mars 2007 (art. 13 de la loi nº 2007-297 du
5mars 2007), le délit d'escroquerie en avait ensuite été supprimé par la loi du 13 nov. 2007 (art. 5 de la loi nº 2007-1598 du 13 nov. 2007 ; la loi
avait en contrepartie créé un article 706-1-3, étendant à certaines infractions en matière économique et financière, certains actes d'enquête
prévus en matière de criminalité organisée, mais ne visant pas la garde à vue dérogatoire), avant d'y être réintroduit par la loi du 17mai 2011
(art. 157 de la loi nº 2011-525 du 17mai 2011).
27. Loi nº 2014-535 du 27mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative
au droit à l'information dansle cadre desprocédurespénales, JORF du 28mai 2014, p. 8864.
28. Cons. const., 11 déc. 2015, nº 2015-508 QPC, M.Amir F. ;v. A. BOTTON, « Inconstitutionnalité du régime dérogatoire de garde à vue en matière de
blanchiment, de recel et d'association de malfaiteurs en lien avec des faits d'escroquerie en bande organisée », RPDP, 2015, p. 931 ; nos obs. « Le
Conseil constitutionnel, l'escroquerie en bande organisée et la garde à vue (bis) : la virtualité du contrôle de constitutionnalité », AJ Pénal, 2016,
p. 77.
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