Manuel - Responsabilité administrative - 2e - 242

RESPONSABILITÉ ADMINISTRATIVE

la responsabilité sui generis de l'arrêt Gardedieu à l'inconstitutionnalité de
la loi. C'est donc une seconde hypothèse de responsabilité de l'État pour
non-respect par la loi d'une norme supérieure - en l'occurrence la Constitution - qui est ainsi reconnue158. Contrairement à l'inconventionnalité
qui peut être constatée par le juge administratif lui-même, l'inconstitutionnalité de la loi nécessite qu'une décision soit rendue par le Conseil
constitutionnel. Si quelques juridictions du fond ont antérieurement
affirmé l'incompétence du juge administratif pour statuer sur la responsabilité de l'État du fait d'une disposition législative inconstitutionnelle, en
considérant que la loi n'habilitait pas le juge administratif à statuer en la
matière159, l'heure n'est plus à de telles pudeurs.
280. CE, 24 déc. 2019, Sté Paris Clichy, Sté hôtelière Paris Eiffel
Suffren et M. Laillat. - Dans trois décisions du 24 décembre 2019160, le
Conseil d'État rappelle, d'une part, comme dans la jurisprudence Gardedieu, l'hypothèse La Fleurette, c'est-à-dire la responsabilité de l'État pour
rupture de l'égalité devant les charges pour le préjudice grave et spécial
né de l'adoption d'une loi. Il affirme, d'autre part, la responsabilité de
l'État pour l'ensemble des préjudices causés par l'application161 d'une loi
inconstitutionnelle ou inconventionnelle. Plus précisément, la responsabilité de l'État peut être engagée pour inconstitutionnalité d'une disposition législative soit à l'issue d'une déclaration d'inconstitutionnalité grâce
à une procédure de QPC, soit lorsque le Conseil constitutionnel déclare
contraire à la Constitution, dans le cadre du contrôle a priori de l'article 61
158. G. Alberton explique la répugnance du juge à utiliser la notion de faute pour une loi inconventionnelle par crainte de devoir envisager ensuite la responsabilité pour faute y compris pour violation de la
Constitution. Elle évoque le risque d'un « effet boomerang » : la reconnaissance que l'inconventionnalité
de la loi est fautive pourrait affecter en retour « notre propre droit national en le contraignant nécessairement à reconnaître qu'une loi inconstitutionnelle l'est par définition tout autant ». ALBERTON G., « Le législateur peut-il rester irresponsable ? Une loi inconventionnelle ou inconstitutionnelle ne peut être que fautive », AJDA 2014, p. 2351. V. aussi DISANT M., « La responsabilité de l'État du fait de la loi
inconstitutionnelle. Prolégomènes et perspectives », RFDA 2011, p. 1181.
159. TA Caen, 5 oct. 2012, nº 1201398, M. B. ; TA Bordeaux, ord., 9 juin 2011, nº 110216, Sté FC Girondins de
Bordeaux ; TA Rouen, 5 janv. 2012, nº 1101612, Sté SASP Havre Athletic Club, cités par DUCHARME T, La responsabilité de l'État du fait des lois déclarées contraires à la Constitution, LGDJ, 2019, § 318. Comme le soulignent A. Roblot-Troizier et M. Verpeaux, la référence à l'habilitation expresse du juge est pour le moins
iconoclaste au regard des modalités d'élaboration du droit de la responsabilité et de la responsabilité du
fait de la loi en particulier. V. ROBLOT-TROIZIER A, VERPEAUX M., « La responsabilité du fait des lois inconstitutionnelles ou inconventionnelles. France », RFDA 2019, p. 393.
160. CE, ass., 24 déc. 2019, nº 425981, Sté Paris Clichy, et du même jour, nº 425983, Sté hôtelière Paris Eiffel
Suffren et nº 428162, M. Laillat, AJDA 2020, p. 509, chron. MALVERTI et BEAUFILS ; JCP A 2020, nº 12, 2076,
comm. BODA ; RFDA 2020, p. 136, concl. SIRINELLI ; p. 149, note ROBLOT-TROZIER. La responsabilité de l'État
est affirmée « en raison des exigences inhérentes à la hiérarchie des normes, pour réparer l'ensemble des
préjudices qui résultent de l'application d'une loi méconnaissant la Constitution ou les engagements internationaux de la France. Toutefois, il résulte des dispositions des articles 61, 61-1 et 62 de la Constitution que
la responsabilité de l'État n'est susceptible d'être engagée du fait d'une disposition législative contraire à la
Constitution que si le Conseil constitutionnel a déclaré cette disposition inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1, lors de l'examen d'une question prioritaire de constitutionnalité, ou bien encore, sur
le fondement de l'article 61, à l'occasion de l'examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine ».
161. Sur la différence entre les préjudices causés par l'adoption (ou l'intervention) de la loi et ceux qui
résultent de l'application de la loi, v. ROBLOT-TROIZIER A, VERPEAUX M., « La responsabilité du fait des lois
inconstitutionnelles ou inconventionnelles. France », RFDA 2019, p. 393

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