Systèmes - Les grandes affaires de responsabilité de la puissance publique - 72

Les grandes affaires de responsabilité de la puissance publique
En 2013, alors que le stock de masques est jusque-là constitué,
renouvelé et géré par l'État, la décision est prise de transférer la
gestion des masques aux employeurs. Ce changement de doctrine
est financièrement avantageux pour l'État mais remet en cause la
centralisation et la vision globale d'une question sanitaire, ce qui va
s'avérer crucial. Par ailleurs, nombre de masques stockés arrivent à
leur date de péremption et sont détruits : 616 millions de masques
datant de 2005-2006 ont été mis au pilon et il n'en reste que 117 millions
fin mars 20201
pris pour répondre aux besoins des soignants2
. Les masques viennent alors à manquer, y com.
Les déclarations de
la ministre de la Santé Agnès Buzyn lui sont par ailleurs reprochées.
Elle a affirmé, le 24 janvier 2020, que le risque de propagation du
coronavirus dans la population était très faible mais, après avoir
quitté ses fonctions mi-février pour se présenter aux élections
municipales à Paris, elle exprime des regrets dans la presse le
17 mars et indique qu'elle a tenté d'alerter le Premier ministre et
le président de la République dès janvier3
.
La crise sanitaire révèle à la fois une impréparation des autorités
publiques pour faire face à la pandémie et la faiblesse structurelle
du service public hospitalier. Le juge administratif sera-t-il saisi
pour statuer sur d'éventuelles fautes des autorités publiques ? Si
les crises sanitaires antérieures lui ont permis d'affirmer une responsabilité
pour faute simple de l'État (pour ses carences dans les
affaires du sang contaminé, de l'amiante, ou du Mediator), l'on sait
qu'il reconstitue, dans chaque hypothèse, l'enchaînement des faits
pour apprécier les éventuels manquements des autorités publiques
au regard des informations disponibles. Considèrera-t-on que la
gestion du stock de masques en amont de l'épidémie a été irresponsable
? Ou qu'à partir de la propagation du virus en Chine, les autorités
françaises auraient dû être plus prévoyantes ? Un lien de causalité
sera-t-il reconnu entre le développement de la maladie ou le
décès de personnes contaminées et ces défaillances de l'État4
?
Au-delà de la pénurie de masques, d'autres décisions pourraient
être considérées comme des faits dommageables dans la gestion de
1. LHOMME F., DAVET G., « Comment la France a continué à détruire son stock de masques
après le début de l'épidémie », Le Monde, 7 mai 2020.
2. « Coronavirus : la pénurie de masques, grande colère des soignants », Le Monde, 19 mars
2020.
3. CHEMIN A., « Les regrets d'A. Buzyn : " On aurait dû tout arrêter c'était une mascarade " », Le
Monde, 17 mars 2020.
4. JACQUEMET-GAUCHÉ A., « Pénurie de masques : une responsabilité pour faute de l'État ? »,
JCPG 2020.370. V. aussi DU PUY-MONBRUN S., « Crise sanitaire du Covid-19 et responsabilité
administrative », JCP A, no
20, mai 2020, ét. 2159.
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