Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe - 21

CHRISTIAN LAGARDE

13

On a beaucoup commenté la liste de 75 langues bénéficiaires du label
"langues de France"21, en fonction des critères qui sont ceux de la Charte,
à savoir « les langues pratiquées traditionnellement sur un territoire d'un
État par les ressortissants de cet État qui constituent un groupe numériquement inférieur au reste de la population de l'État ; et différentes de
la (des) langue(s) officielle(s) de cet État ; [sachant que] elles n'incluent
ni les dialectes de la (des) langue(s) officielle(s) de l'État ni les langues
des migrants ». On y retrouve au premier chef les "langues régionales",
retenues aussi bien au titre de leur territorialité que de leur ancienneté
(patrimoniale). Mais elles côtoient les langues des actuels DROM et
COM22 ainsi qu'un certain nombre de langues "non-territorialisées", telles
que le berbère, l'arabe dialectal, le yiddish, le romani chib et l'arménien
occidental, au motif qu'elles sont parlées « historiquement » sur le territoire français.
Quoi qu'il en soit, la notion de "langue de France", qui évite soigneusement de prendre en charge les langues d'immigration - mais le fait, dans
l'ensemble, en réalité, grâce au stratagème indiqué -, a le mérite d'envisager
la globalité des langues coprésentes sur le territoire. Elle constitue à la
fois une alternative et un dépassement de celle, traditionnelle, de "langues
régionales". Ce faisant, elle intègre le principe de personnalité tout en
maintenant celui de territorialité. La répercussion, pleinement symbolique,
de cette innovation s'est traduite par le changement de dénomination, en
2001, de la DGLF en DGLFLF (Délégation générale à la langue française et aux langues de France), dans le cadre du ministère de la Culture.
On pourrait être amené à penser que cette prise en compte a pu influer
dans l'émergence, en 2008, de l'article 75-1 (du fait de l'expression d'une
action protectrice en faveur d'un patrimoine linguistique menacé de disparition), mais pour aussitôt constater que celui-ci ne retient pas la notion de
"langues de France" alors qu'il reconduit celle de "langues régionales". Les
"langues de France", qui s'incarnent dans la DGLFLF, se trouvent donc
dans une impasse, tout comme la ratification, tentée à plusieurs reprises,
de la Charte. Nous sommes bien loin de toute éventualité d'officialité
ou de co-officialité, dont il sera question ici par la suite. Et l'on voit bien
que l'habileté inclusive de la liste Cerquiglini n'a pas pu faire illusion
au-delà de son contexte, l'arabe dialectal et le berbère étant considérés par
le personnel politique comme des langues d'immigration. Et, sans surprise,

21. J. Sibille, « La notion de langues de France, son contenu et ses limites », in G. Kremnitz
(dir.), Histoire sociale des langues de France, Rennes, PUR, 2013, p. 45-60.
22. Les dénominations DROM (départements et régions d'outre-mer) ; COM (collectivités d'outre-mer) ont remplacé celles de DOM et TOM (respectivement départements et
territoires d'outre-mer) depuis la révision constitutionnelle du 28 mars 2003.
Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe

Table des matières de la publication Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe
