Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe - 282

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LES LANGUES, MIROIR DES FIGURES DE L'ÉTAT

contrats, commissions, sentences, testaments, et autres quelconques, actes
et exploicts de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés
et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement. »
L'article 111 de l'Ordonnance royale de Villers-Cotterêts du 10 août 1539
impose aux juridictions d'abandonner le latin et de rendre des décisions
rédigées en langues françaises.
L'interprétation encore dominante de ces dispositions en fait une
condamnation des langues régionales. Tel est le point de vue défendu
par Jean Foyer dans son Histoire de la justice5, ou bien encore Claude
Hagège 6. Cette interprétation « jacobine 7 » est en général imputée à
Ferdinand Brunot (1860-1938), auteur d'une monumentale Histoire de la
langue française8. C'est également l'interprétation retenue par les juridictions françaises, aussi bien le Conseil d'État que la Cour de cassation qui
en feront application à la fin du xxe siècle alors même que cette ordonnance
avait été abrogée par le décret de Thermidor9 !
Rien d'étonnant dans cette interprétation construite au début de
la IIIe  République. Dans la tradition tocquevillienne, elle permet de
présenter une édification téléologique de la Nation puisant ses origines
dans les profondeurs de l'Ancien Régime. Au-delà des soubresauts de la
Révolution et de l'instabilité politique du xixe siècle, la France constitue
une Nation, une et indivisible, dont la souveraineté s'est inéluctablement
affirmée malgré les forces centrifuges incarnées par la pluralité linguistique.
En dépit des lois Ferry, la population française, à la veille de la première
guerre mondiale, reste en majorité diglossique. La Nation n'est pas encore
tout à fait construite et l'on comprend mieux alors pourquoi Ernest Renan,
à la fois en rupture avec la conception de la Nation allemande héritée de
Herder, mais aussi de manière assez pragmatique au regard de la situation

5. J. foyer, Histoire de la Justice, Paris, PUF, 1996.
6. https://www.lepoint.fr/societe/francois-ier-le-francais-d-abord-16-12-20101278871_23.php.
La persistante d'une telle interprétation est d'autant plus surprenante que Claude
Hagège ne fait pas preuve d'hostilité à l'égard des langues régionales (https://www.
lexpress.fr/region/claude-hag-egrave-ge-ne-m-eacute-prisons-pas-les-langues-r-eacutegionales_477325.html).
7. H. merlin-kajman, « L'étrange histoire de l'ordonnance de Villers-Cotterêts : force
du passé, force des signes », Histoire, épistémologie, langage 2011, p. 79.
8. Il fut le premier titulaire à la Sorbonne d'une chaire d'histoire de la langue française,
v. J.-C. chevallier, « Ferdinand Brunot : 1860-1937, la fabrication d'une mémoire de la
langue », Langages 1994, p. 54.
9. V. A. blanc, La langue de la République est le français. Essai sur l'instrumentalisation
juridique de la langue par l'État (1789-2013), Paris, L'Harmattan, p. 92.

https://www.lepoint.fr/societe/francois-ier-le-francais-d-abord-16-12-2010 https://www.lexpress.fr/region/claude-hag-egrave-ge-ne-m-eacute-prisons-pas-les-langues-r-eacute-gionales_477325.html https://www.lexpress.fr/region/claude-hag-egrave-ge-ne-m-eacute-prisons-pas-les-langues-r-eacute-gionales_477325.html https://www.lexpress.fr/region/claude-hag-egrave-ge-ne-m-eacute-prisons-pas-les-langues-r-eacute-gionales_477325.html

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