Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe - 284

276

LES LANGUES, MIROIR DES FIGURES DE L'ÉTAT

la réformation de la justice dispose « pour obvier aux abus et inconvéniens,
qui sont par ci-devant advenus au moyen de ce que les juges desdits païs
de droit escrit ont fait, les procès criminales des dits païs en latin, et toutes
enquestes pareillement, avons ordonné et ordonnons ; afin que les témoins
entendent leurs dépositions et les criminels les procès faits contre eux que
doresnavant tous les procès criminels et lesdites enquestes en quelque
matière que ce soit, seront faites en vulgaire et langage du païs [...] ». Les
textes de François 1er reprennent la même solution. Les Lettres patentes
de 1533 en réponse aux remontrances des États de Languedoc « enjoignent
aux notaires de passer et écrire tous les contrats dans la langue vulgaire
des contractants ». Quant à l'Ordonnance d'octobre 1535 sur la réformation de la justice en Provence, elle impose « Item, pour obvier aux abus et
inconvéniens qui sont par cy devant advenus, au moyen de ce que les Juges
de nostre dit païs de Provence ont fait les procès criminels du dit pays en
latin et toutes enquestes pareillement : Avons ordonné et ordonnons afin
que lesdits témoins entendent mieux leurs dépositions, et les criminels
les procez faits contre eux, que doresnavant tous les procès criminels, et
lesdites enquestes en quelque matière que ce soit, seront faits en français,
ou à tout le moins en vulgaire du pays, [...] ». Le latin résistera. Charles IX,
dans l'article 35 de son ordonnance de 1563 sur la justice et la police du
Royaume, rappellera que « les vérifications de nos cours de Parlements sur
nos édits, ordonnances ou lettres-patentes, et les réponses sur requestes,
seront faites doresnavant en langage françois et non en latin, [...] ».
Si l'Ordonnance de Villers-Cotterêts ne condamne pas les langues
régionales et a essentiellement pour objectif la compréhension des actes
juridictionnels, cela ne signifie pas pour autant qu'elle est sans lien avec
la volonté de construire un État souverain. L'usage du latin dans les actes
juridiques était une tradition qui remontait à l'Empire romain. L'usage du
français et des langues provinciales participe probablement d'une volonté
de rompre non seulement avec le Saint-Empire romain germanique et de
prendre des distances avec la papauté14. L'Ordonnance de Villers-Cotterêts
a bien affaire avec la souveraineté, non pas dans sa dimension interne, mais
dans sa dimension externe.
3. Jean Bodin, dans son célèbre chapitre « les marques de la souveraineté », est le premier à opérer un lien entre langue et souveraineté. « On
pouroit dire à plus juste occasion, que c'est une vraye marque de souveraineté de contraindre les sujets à changer de langue : ce que les romains
ont mieux exécuté que prince ny peuple qui fust oncques ; en sorte qu'ils
semblent commander en la plupart de l'Europe. [...] Et d'autant que les
Gaules estoient pleines de bourgeois romains, et de leurs colonies, ils
14. http://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/HIST_FR_s5_Renaissance.htm.

http://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/HIST_FR_s5_Renaissance.htm

Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe

Table des matières de la publication Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe