Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe - 31

JORDANE ARLETTAz

linguistique ne pouvant se concevoir sans majorité linguistique, la langue
minoritaire serait nécessairement hors l'État, sans l'État voire malgré l'État.
Langue régionale comme langue minoritaire sont ainsi des terminologies porteuses de deux présupposés essentiels qui témoignent de ce que ces
notions sont pensées hors du droit : le premier est relatif au substrat sociologique qui irrigue leur appréhension quand le second concerne l'absence
de statut juridique reconnu à ces langues par l'État. Les langues régionales
comme les langues minoritaires sont des langues sociologiquement observées mais juridiquement reléguées. Or, en ce que cette terminologie porte
en elle l'idée d'une relégation juridique, débattre de la question des langues
régionales ou minoritaires conduit bien souvent à s'interroger sur l'opportunité d'une valorisation de ces langues dans la vie publique comme dans la
vie sociale et culturelle. Caractéristique du débat sur les langues régionales
qui émerge à intervalles réguliers en France9, la question de la protection de la diversité linguistique alimente le lien ainsi relevé entre le terme
de « langue régionale » ou « minoritaire » et l'indifférence juridique à leur
égard. Penser les langues régionales et minoritaires hors du droit présente
pourtant des difficultés qui affectent la compréhension de la gestion, par
les États, de la pluralité des langues en usage sur leur territoire.

B. Les limites de l'appréhension non juridique
des langues régionales et minoritaires
La coloration sociologique qui sous-tend les notions de langue régionale
et de langue minoritaire n'est pas sans poser quelques difficultés au juriste.
Trois questions essentielles se posent en effet à lui. Comment définir la
langue ? Comment délimiter le territoire d'usage d'une langue ? Qui peut
bénéficier du statut de minorité linguistique ?
La première difficulté concerne la qualité même de langue, tantôt revendiquée, tantôt refusée. Si la définition du statut de dialecte ou de variante
peut être scientifiquement défendue dans le champ de la linguistique, un tel
qualificatif est généralement ressenti comme l'expression politique d'une
relégation déjà actée en droit. Le terrain est si miné que les juges confrontés
à une telle problématique choisissent le plus souvent d'emprunter un autre
chemin. Telle fut la voie suivie par la Cour constitutionnelle italienne
dans une affaire relative à la protection de la langue piémontaise10.
9. Cf. notamment N. rojas-hutinel, « La problématique persistante portée par la Charte
européenne des langues régionales ou minoritaires : entre conflit de ratification et impératif
de protection », RFDC 2016/3, n° 107 (supplément électronique).
10. Cour constitutionnelle italienne, décision 170/2010 du 10 mai 2010. Cf. notamment
G. delledonne, « La Corte costituzionale si pronuncia sulla "lingua piemontese": fra

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