Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe - 32

LANGUE RÉGIONALE, LANGUE MINORITAIRE ?

Le Gouvernement, à l'origine de la saisine de la Cour, contestait en effet une
loi adoptée par la région du Piémont qui étendait au piémontais la protection issue de la loi italienne de 1999 relative aux langues historiques de l'État
autres que l'italien. Selon le Gouvernement, le piémontais n'étant qu'un
dialecte ou une variante de l'italien, ne pouvait bénéficier des dispositions
protectrices de la loi de 1999. Les juges constitutionnels ont en l'espèce
choisi l'économie de moyens et, refusant de répondre à ce grief substantiel
d'inconstitutionnalité, ont préféré contrôler la loi régionale sous l'angle de
la compétence du Piémont en matière linguistique.
La deuxième difficulté n'est pas moins problématique : elle concerne la
délimitation du territoire linguistique saisi dans sa seule dimension sociologique, à savoir l'aire de diffusion et d'usage d'une langue. L'enjeu n'est plus
affaire de spécialistes en sociolinguistique lorsque le droit entend définir
la langue à travers ce critère sociologique. Le risque est en effet de voir
sans cesse se déplacer la frontière linguistique au gré des mouvements de
population. À l'origine de l'un des premiers conflits linguistiques entre francophones et néerlandophones que connût la Belgique dans les années 1950
et 1960, le modèle de la « frontière mobile », qui supposait un recensement
régulier et le basculement possible de communes unilingues vers le bilinguisme, fut contesté de manière virulente par les maires flamands en raison
d'une francisation progressive du territoire belge - qualifiée de « tache
d'huile francophone11 ». Le refus opposé par les bourgmestres de publier les
résultats du recensement puis leur opposition au volet linguistique de ces
recensements eurent raison de la frontière linguistique qui, de mobile parce
que sociologique, devint « bétonnée » parce que juridicisée12. La constitution de communes à « facilités linguistiques » le long de cette frontière
« bétonnée » atteste cependant des obstacles que rencontre la recherche
d'une stricte correspondance entre les structures politiques d'un État et
les réalités sociologiques de sa population dans le domaine des langues13.
tutela delle minoranze linguistiche e incerti limiti di un "costituzionalismo regionale" », Le
Regioni, 2010 ; A. anzon demmig, « La Corte apre a "nuove minoranze" ? », Giurisprudenza
costituzionale 2011 ; U. haider quercia, « La sentenza n.170/2010 e la questione della
competenza legislativa regionale in tema di tutela delle minoranze linguistiche », Rivista di
diritto pubblico italiano, comunitario e comparato 15/2010.
11. M. francard, « La minorité linguistique francophone en Flandre : des droits
menacés ? », Les cahiers de l'Orient 2011/3, p. 151.
12. C. istasse, « Les circulaires flamandes relatives à l'emploi des langues en matière
administrative », Courrier hebdomadaire du CRISP, 2016/1, p. 5 à 104. Voir également
J. arlettaz, L'Émanation à l'épreuve de la constitutionnalisation des langues régionales.
Étude comparée : Belgique, Espagne, Italie, Suisse, Éd. Mare et Martin, 2014.
13. A. dassargues, J. perrez, M. reuchamps, « Les relations entre langue et politique en
Belgique : linguistiques ou communautaires ? », Revue internationale de politique comparée
2014/4, p. 105.

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