Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe - 46

LANGUE RÉGIONALE, LANGUE MINORITAIRE ?

par le statut d'autonomie des Asturies, ce modèle inédit, construit par les
Communautés autonomes en marge de la Constitution sans pour autant
la violer, a été repris récemment en Castille et Leon ainsi qu'en Aragon.
La langue propre d'une Communauté autonome se voit ainsi accorder un
statut juridique intermédiaire, entre l'officialité et la protection linguistique47 ; plus fondamentalement, ce statut juridique se constitue par
l'exercice d'un droit subjectif, un droit linguistique, et non par une norme
objective et relative à la langue comme l'est le principe d'officialité. Dans
ses effets cependant, l'effectivité de ce droit rapprochera la langue du statut
d'officialité à l'échelle locale.
La troisième transformation concerne l'appréhension du locuteur. Parce
que la protection de la langue des minorités nécessite de « mesurer » la
présence de ces minorités sur les différentes portions du territoire, les États
conditionnent le plus souvent la reconnaissance des langues minoritaires à
une déclaration individuelle d'appartenance à un groupe minoritaire. Or
le régime juridique de ces déclarations d'appartenance connaît des modifications substantielles, révélatrices d'une approche nouvelle du locuteur.
Ainsi en Italie, les déclarations, autrefois obligatoires dans la Province de
Bolzano48, sont désormais volontaires et anonymes ; d'uniques, les appartenances sont devenues multiples49. Le locuteur, appréhendé originellement
dans un rapport exclusif à une langue unique, peut donc maintenant se
définir dans une pluri-identité ; le locuteur unilingue se fait polyglotte.
Ce faisant, la langue est nouvellement associée à l'individu après avoir
été l'une des composantes caractérisant un groupe culturel minoritaire. Ce mouvement de double décloisonnement, de l'individu à « sa »
langue et de l'individu à « sa » communauté linguistique, s'exprime aussi
dans la possibilité reconnue depuis 2015 aux citoyens européens50 ainsi
qu'aux ressortissants d'États tiers de longue durée, de procéder, comme
les nationaux italiens, à des déclarations d'appartenance51. De même, le
Comité consultatif européen de la Convention-cadre pour la protection
des minorités nationales recommandait récemment dans son avis sur la
Croatie que « compte tenu de la fréquence des identités multiples dans une
47. J. M. pérez fernández, « La tutela de las lenguas regionales o minoritarias estatutarias
y su encaje en el modelo constitucional español ¿ un tertium genus en el reconocimiento de
los derechos lingüísticos ? » Revista española de derecho constitucional 2010, n° 89, p. 157.
48. En vertu de l'article 89 du Statut spécial pour le Trentin-Haut-Adige, les emplois
publics sont proportionnellement répartis dans la Province de Bolzano en réponse aux
déclarations d'appartenance des citoyens italiens à l'un des trois groupes linguistiques que
constituent les italiens, les germanophones et les ladins.
49. Décret-législatif 99/2005 du 23 mai 2005.
50. E. cavasino, « Lingua ufficiale e uso di altre lingue tra funzioni della pubblica amministrazione ed autonomia privata », federalismi.it, 2017/8.
51. Décret-législatif 75/2015 du 29 avril 2015.

http://www.federalismi.it

Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe

Table des matières de la publication Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe