Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe - 57

EUGèNE F.-X. GHERARDI

Corses n'avait de sens qu'en lien avec le toscan littéraire. Ainsi disait-il
trouver dans la bouche des Corses, la langue de Pétrarque, de Boccace,
de Dante, d'Alfieri ou de Manzoni25. Et quand la littérature habilement
convoquée n'offrait aucune perspective de rapprochement, c'est vers les
parlers populaires de la Toscane que Tommaseo se tournait. Ainsi à propos
de « nimu » (« nessuno » en italien standard), il observe qu'on le retrouve
sous la forme « nimmo » dans les parlers de Lucques et de Pistoia26.
L'image du mélange comme trait essentiel de la langue des Corses fait
florès. En 1806, dans le Viaggio di Licomede in Corsica, Giuseppe Maria
Arrighi note : « La langue italienne domine en Corse : mais, parmi le peuple,
elle y est rarement parlée correctement, étant, pour la plupart du temps,
mêlée avec beaucoup de termes natifs qui en font un idiome, exclusivement propre à ce pays. Si d'ailleurs on considère les diverses nations qui
occupèrent cette île, on verra que la langue des Corses doit être composée :
1°. De l'ancienne langue des Celtes et des Celto-Galles ; 2°. D'une forte
teinture de phénicien, d'étrusque et de phocéen ; 3°. Du punique ; 4°. Enfin
du grec, du latin et de l'italien. Mais parce que les Corses furent jadis bien
plus intimement liés avec les Carthiginois (sic) qu'avec tout autre peuple
de l'antiquité, leur langue doit abonder en termes puniques, et faciliter une
foule de recherches curieuses en ce genre27. »
Dans son Précis statistique, rédigé au cours du Premier Empire, Vérard,
inspecteur à l'hôpital militaire d'Aiacciu, accrédite lui aussi la langue corse
comme un amalgame de divers apports linguistiques : « La langue italienne
domine en Corse ; mais parmi le peuple, elle est rarement parlée correctement, étant mélangée de beaucoup de termes nationaux qui en font un
idiome seulement propre à ce pays. En considérant d'ailleurs les diverses
nations qui ont occupé cette île, on verra que cet idiome doit être nécessairement composé du celtique, du phénicien, de l'étrusque, du phocéen,
du grec, de l'italien et principalement du punique, parce que les Corses
furent plus liés avec les Carthaginois qu'avec tout autre peuple. Néanmoins,
ces insulaires tirent un grand parti de leur dialecte qui est énergique dans
leurs bouches et dans leurs écrits, quoiqu'il semble plus propre à peindre
des images voluptueuses et riantes qu'à exprimer des pensées vigoureuses.
25. « E abbiam veduto crianza, conforme al criare del Petrarca e di Dante ; e io c'intesi
ad alto per dire più su, ch'è del Boccaccio : e altrove il Dantesco soglio della porta, e venea
che consuona al venesse del leone di Francia ; e punga per pugna, e ammentare, e minugia,
e tanti altri efficacissimi, serbatisi in isola come in rifugio di forza e d'eleganza, figliuole
gemelle alla intendente semplicità. » N. Tommaseo, Canti popolari, op. cit., vol. 2, p. 185.
26. Ibid., vol. 2, p. 62.
27. J.-M. Arrighi, Voyage de Lycomède en Corse et sa Relation historique et philosophique sur les mœurs anciennes et actuelles des Corses, Paris, Lerouge-Jeune imprimeur,
1806, vol. I, p. 273.

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