Grands colloques - Les langues régionales et la construction de l'État en Europe - 61

EUGèNE F.-X. GHERARDI

Le 28 juin 1821, le Journal du département de la Corse donnait la
teneur d'un Arrêté relatif à l'enseignement de la langue française. Rédigé
par Antoine-Félix Mourre38, inspecteur chargé des fonctions rectorales en
Corse, l'arrêté n'était rien de plus qu'une exhortation à étudier le français
dans des écoles insulaires où la langue italienne et les doctrines ultramontaines régnaient sans partage. Ce fut aussi sur le recrutement d'un clergé
entièrement acquis à l'usage du latin et de l'italien que l'administration
académique fit peser ses recommandations. Une commission, créée le
18 juillet 1821 par décision ministérielle, se chargea d'examiner la connaissance du français de la part de tous les séminaristes, avant leur ordination.
Les difficultés linguistiques rebondissaient également dans l'enceinte
du tribunal. Les magistrats continentaux comme les accusés devaient sans
cesse avoir recours à des interprètes qui eux-mêmes étaient souvent si peu
doués que l'on pouvait rire de ce que l'on entendait au cours des audiences.
Cette question n'échappait pas à Niccolo Tommaseo qui put en observer
toute l'ampleur : « Codesta stessa dissonanza delle lingue, codesto dovere al
condannato tradurre in italiano la pena, e chiamare un interprete perchè dal
barbaro francese de'Corsi traduca in barbaro corso infrancesato gli atti del
processo, a gente che il francese intende, o se no, la traduzione spropositata
intenderà meno del testo ; è commedia. E più imbrogliata sarà la commedia,
e dagli sbagli scoppieranno fucilate e dai francesimi stillerà sangue se in più
numero, come minacciasi, siederanno alle assise di Corsica i magistrati di
Francia, i quali giudicando da' fogli malamente scorbiati, non dalle voci vive
che son l'anima, dalle arringhe e non da'despoti, si svoglieranno dell'uffizio
loro, del non intendere s'irriteranno, anzichè del frantendere vergognarsi.
Miserie alle quali giova che il senno previdente ripari, e non l'esperienza
turpemente odiosa39. » En 1836, Ambroise Mottet, procureur général à
Bastia et député du Vaucluse, défendait dans un rapport sur l'île le principe de substitution des magistrats corses par des magistrats originaires du
continent français. Cette migration devait hâter la francisation culturelle
et linguistique de la Corse : « La langue a sur les mœurs une influence
manifeste. Tant que ce peuple parlera italien, et il ne parle qu'italien, il ne
sera français que de nom. [...] Appeler en Corse dans la magistrature et les
autres fonctions publiques le plus de continentaux possible et par compensation placer le plus de Corses possible sur le Continent40 ». L'illustration
de cette incompréhension linguistique entravait le bon exercice de la justice.

38. Sur Mourre, on tirera le plus grand profit de : Jacques Thiers, Les Potirons, l'Inspecteur
et le Gecko, Levie, éditions Albiana, 1993, 152 pages.
39. N. Tommaseo, Canti popolari toscani, corsi, illirici, greci, op. cit., vol. 2, p. 54.
40. Cité par X. Versini, La vie quotidienne en Corse au temps de Mérimée, Paris,
Hachette littérature, 1979, p. 159-193.

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